Il n'est d'intelligence que du coeur !
Par Iaqov Demarque,
Psychanalyste
Qu’est-ce qu’aimer, sinon
reconnaître en l’autre cette part de nous-mêmes qui s’y
reflète ?
Et se pourrait-il que l’on soit
limité, contraint à n’aimer qu’un seul être qui nous
complète ?
Ne serait-ce pas là un manque
d’humilité nous poussant à nier nos failles, nos manques à
combler, si différents et multiples et trop souvent refoulés au nom
d’une morale bien arbitraire ?
Elevé dans un milieu catholique
pratiquant, j’ai très tôt été pétri de ces principes fortement
castrateurs d’une morale consistant à ériger le mariage comme un
état directement inférieur à celui de la chasteté, un « moindre
mal »permis à ceux et celles qui n’avaient pas la force
intérieure requise au célibat absolu, permis dans le cadre strict
et limité du couple se jurant une fidélité limitative de la
capacité d’amour qui siège en chacun de nous, à des degrés plus
ou moins élevés.
Dès ma plus tendre enfance, puis
plus tard, à l’âge de la puberté, à l’entrée dans le monde
toujours chaotique de l’adolescence, mon père m’avait inculqué
ces « valeurs » d’une fidélité consacrée par
l’Eglise, élevée par elle au rang d’un absolu intransgressible
enjoignant à chacun :
« tu ne commettras pas
d’adultère » !
Ce dilemme de l’amour, exclusif ou
épanoui, mon père l’avait résolu à sa manière, cachant sa
sensibilité derrière une apparente misogynie qu’il se plaisait à
me transmettre.
Très jeune, je me vis donc comme
formaté et mon approche de l’autre sexe qui forcément m’attirait
s’en trouva si entravée qu’elle me valut bien des déboires,
bien des déceptions, parfois cruelles, souvent traumatisantes.
La femme, hormis celle que j’avais
choisi pour épouse était à mes yeux un danger, un risque de chute
qui m’effrayait et que je fuyais à mon tour, me retranchant
derrière le seul réflexe que j’avais et que m’avais sans
vraiment le vouloir transmis mon père. Derrière tous ces clichés
aussi absurdes que faux qui des générations durant et aujourd’hui
encore ont accentué le clivage entre les sexes, fruit inavouable de
la peur et de la défiance, constat cinglant d’une faiblesse toute
humaine, quelles terribles dérives peuvent bien se cacher, quelles
indicibles souffrances !
Fort heureusement pour moi, des
années de réflexion personnelle et d’analyse, m’ont
progressivement amené à envisager les choses différemment… Et
dès lors, une question se posait avec de plus en plus d’insistance
à mon esprit : Quel mal pouvait-il y avoir à aimer ?
Quelle infidélité commettions-nous
en aimant de multiples manières de multiples personnes ? Est-ce
donc que notre cœur n’en eût pas les capacités, la contenance ?
Et est-ce seulement une infidélité ?
A bien y réfléchir ce soir, je
pense sincèrement que non : la fidélité n’existe que dans
la durée, et si donc on aime plusieurs personnes, la durée demeure,
et donc la fidélité persiste. Mieux encore : Chaque personne
étant particulière et unique, cela fonde l’unicité absolue de
tout amour !
L’amour est un sentiment étrange,
tout en étant celui qui soit le plus naturel et constitutif de notre
humanité. C’est aussi celui qui nous donne le plus de fil à
retordre, de par cette unicité spécifique qui le rend impossible à
cerner, à comprendre, à définir vraiment… Alors, pour nous
donner consistance et mesure, nous avons inventé son substitut, que
nous avons nommé l’amitié, sentiment proche, mais pas vraiment
identique, parfois aussi beaucoup plus fort, plus violent, plus
passionnel parce que justement débarrassé de la limite morale
visant à faire de l’amour conjugal un amour exclusif.
Amour…amitié…. Où est la différence, la limite qui les
séparent ? Sont-ils seulement différents et séparés ?
Serait-ce donc seulement une question de morale ?
Mais alors, si l’amour est avant
tout respect de l’autre et de sa liberté, que viennent y faire les
barrières morales, sinon le réduire à sa contradiction ?
Où est l’amour, dans sa vérité
première lorsqu’il est vécu de manière obligée dans un couple
« fidèle » en apparence certes, mais qui n’échange ni
ne partage plus rien qu’un passé parfois douloureux, voire une
absence d’avenir ? Ah, bien évidemment, les apparences, et
donc l’honneur sont saufs ! Mais quel honneur ? Et
l’amour est-il une question d’honneur, un devoir à accomplir ?
La psychanalyse qui connaît une des
formes les plus fortes et multiples de l’amour, au travers du
transfert, et qui a pour champ d’étude un Inconscient qui lui est,
par essence tout autant amoral qu’innocent, en ce sens qu’il
ignore tout des notions de bien et de mal, la Psychanalyse sait très
bien que non, ce n’est pas cela !
L’amour n’existe et n’est vrai
qu’en tant qu’il s’inscrit en terme de gratuité, de don, de
« par-don », et il n’est qu’au travers du respect de
la liberté totale de l’autre. Il sort, résolument du cadre
séparateur de la Loi et de l’interdit, pour s’ouvrir au
dialogue, à l’ « inter-dit » !
Comprendre ceci induit en moi une
formidable libération, la chute absolue et définitive du lourd
manteau de culpabilité qui m’avait si longtemps empêché de me
réaliser, de devenir librement sujet de ma propre existence et de
mes choix. Je n’ai pas, je n’ai plus de péché, sauf bien sûr,
peut-être, si m’en référant au sens hébraïque du verbe
« pécher », qui signifie, stricto sensu « manquer
sa cible, son but », je passe à côté de ce qui était, pour
moi, mon objectif ! Mais dans ce cas, le péché serait dans le
ratage de ma propre réalisation ! car là est bien le seul et
unique but de l’existence de tout être humain : sa
réalisation personnelle, sa prise en charge délibérée de
lui-même, qui le fait exister en tant que sujet !
Aujourd’hui, si j’ai trouvé ma
dimension spirituelle dans un judaïsme non pratiquant et
a-religieux, après avoir été un chrétien atavique, je reste
malgré tout attentif à certaines paroles hélàs galvaudées par
une Eglise récupératrice et manipulatrice, parmi les plus
subversives de Jésus de Nazareth, Rabbi d’il y a deux millénaires…
Des paroles qui valent encore pour notre temps, et parmi elles, dans
les « Evangiles », l'épisode controversé de sa
rencontre piégeante avec "femme adultère" (voire même
"les" épisodes, car c'est un thème récurrent, parce que
symbolique de l'amour de Dieu et de sa relation avec Israël !).
Il ne juge pas, il ne condamne
pas... Et il renvoie les juges à leur propre jugement sur eux-mêmes,
à trouver les réponses à leurs questions dans leurs questions
elles-mêmes !
Exactement à la manière
d'un...psychanalyste !
Un psychanalyste qui, travaillant
sur l'Inconscient sait très bien l’inanité du jugement d’un
tiers sur ce dernier qui n'a pas la notion du bien ni du mal, un
Inconscient que personnellement, je rapproche de cette notion
biblique de "Royaume". Un lieu de bouleversement de ce que
nous croyons être nos valeurs et que nous avons l’immense tort de
considérer souvent comme absolues !
C'est la sortie du « gan
Eden » l’exclusion du Royaume, engendrée justement par
la découverte de l'arbre de la connaissance du bien et du mal qui
précipite l'homme dans ses réflexions mortifères, lui révélant
une "nudité" qu'il ignorait, la honte de cette dernière,
et la culpabilité qui en résulte ! La honte et la peur d’apparaître
et de se montrer tel qu’on est, avec ses failles et ses faiblesses
et, partant, l’impossibilité absolue d’accéder à un dialogue
qui pourtant ne pourrait être que libérateur !
Il faut que la parole naisse,
croisse et agisse, il faut qu’elle s’incarne dans un dia-logue
entre les êtres si l’on veut surmonter le clivage induit par le
poids de ces entraves culpabilisantes qui nous privent d’une
liberté essentielle, celle d’aimer, qui ne pourrait nous faire que
croître !
Pour moi, aujourd’hui, une chose
est sûr, absolue : des années de non-dits, étayées de
l’apport d’idées toutes faites au moulin de la bienséance et
d’un moralisme douteux m’ont apporté bien moins que quelques
années de psychanalyse qui ont suffit jusqu’ici à m’ouvrir à
cette dimension de l’être, immense, voire infinie qui me fait
prendre conscience de ce que jus suis et serai désormais le seul et
unique sujet de mon existence et de mes choix, un homme, bien dans sa
tête et sa peau d’homme, qui parle ainsi, d'abord parce qu’il
se sens totalement libéré du poids de culpabilités aussi pesantes
qu'inutiles, conséquences de mon passé, de mon vécu, de mon
contexte de croissance… , et ensuite parce qu’il voudrait amener
ceux et celles d’entre vous qui doutez de vous-même et de votre
capacité à aimer et vous réaliser à écouter enfin les murmures
du cœur de votre être :
Les anciens qui y voyaient le siège
de l’intelligence avaient raison : il n’est d’intelligence
que du cœur !
Iaqov Demarque
Psychanalyste
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire