vendredi 11 mai 2012

Il n'est d'intelligence que du coeur ! par Iaqov Demarque, Psychanalyste.


Il n'est d'intelligence que du coeur ! 

Par Iaqov Demarque,

Psychanalyste


 
Qu’est-ce qu’aimer, sinon reconnaître en l’autre cette part de nous-mêmes qui s’y reflète ?
Et se pourrait-il que l’on soit limité, contraint à n’aimer qu’un seul être qui nous complète ?
Ne serait-ce pas là un manque d’humilité nous poussant à nier nos failles, nos manques à combler, si différents et multiples et trop souvent refoulés au nom d’une morale bien arbitraire ?
Elevé dans un milieu catholique pratiquant, j’ai très tôt été pétri de ces principes fortement castrateurs d’une morale consistant à ériger le mariage comme un état directement inférieur à celui de la chasteté, un « moindre mal »permis à ceux et celles qui n’avaient pas la force intérieure requise au célibat absolu, permis dans le cadre strict et limité du couple se jurant une fidélité limitative de la capacité d’amour qui siège en chacun de nous, à des degrés plus ou moins élevés.
Dès ma plus tendre enfance, puis plus tard, à l’âge de la puberté, à l’entrée dans le monde toujours chaotique de l’adolescence, mon père m’avait inculqué ces « valeurs » d’une fidélité consacrée par l’Eglise, élevée par elle au rang d’un absolu intransgressible enjoignant à chacun :
« tu ne commettras pas d’adultère » !
Ce dilemme de l’amour, exclusif ou épanoui, mon père l’avait résolu à sa manière, cachant sa sensibilité derrière une apparente misogynie qu’il se plaisait à me transmettre.
Très jeune, je me vis donc comme formaté et mon approche de l’autre sexe qui forcément m’attirait s’en trouva si entravée qu’elle me valut bien des déboires, bien des déceptions, parfois cruelles, souvent traumatisantes.
La femme, hormis celle que j’avais choisi pour épouse était à mes yeux un danger, un risque de chute qui m’effrayait et que je fuyais à mon tour, me retranchant derrière le seul réflexe que j’avais et que m’avais sans vraiment le vouloir transmis mon père. Derrière tous ces clichés aussi absurdes que faux qui des générations durant et aujourd’hui encore ont accentué le clivage entre les sexes, fruit inavouable de la peur et de la défiance, constat cinglant d’une faiblesse toute humaine, quelles terribles dérives peuvent bien se cacher, quelles indicibles souffrances !
Fort heureusement pour moi, des années de réflexion personnelle et d’analyse, m’ont progressivement amené à envisager les choses différemment… Et dès lors, une question se posait avec de plus en plus d’insistance à mon esprit : Quel mal pouvait-il y avoir à aimer ?
Quelle infidélité commettions-nous en aimant de multiples manières de multiples personnes ? Est-ce donc que notre cœur n’en eût pas les capacités, la contenance ? Et est-ce seulement une infidélité ?
A bien y réfléchir ce soir, je pense sincèrement que non : la fidélité n’existe que dans la durée, et si donc on aime plusieurs personnes, la durée demeure, et donc la fidélité persiste. Mieux encore : Chaque personne étant particulière et unique, cela fonde l’unicité absolue de tout amour !
L’amour est un sentiment étrange, tout en étant celui qui soit le plus naturel et constitutif de notre humanité. C’est aussi celui qui nous donne le plus de fil à retordre, de par cette unicité spécifique qui le rend impossible à cerner, à comprendre, à définir vraiment… Alors, pour nous donner consistance et mesure, nous avons inventé son substitut, que nous avons nommé l’amitié, sentiment proche, mais pas vraiment identique, parfois aussi beaucoup plus fort, plus violent, plus passionnel parce que justement débarrassé de la limite morale visant à faire de l’amour conjugal un amour exclusif. Amour…amitié…. Où est la différence, la limite qui les séparent ? Sont-ils seulement différents et séparés ? Serait-ce donc seulement une question de morale ?
Mais alors, si l’amour est avant tout respect de l’autre et de sa liberté, que viennent y faire les barrières morales, sinon le réduire à sa contradiction ?
Où est l’amour, dans sa vérité première lorsqu’il est vécu de manière obligée dans un couple « fidèle » en apparence certes, mais qui n’échange ni ne partage plus rien qu’un passé parfois douloureux, voire une absence d’avenir ? Ah, bien évidemment, les apparences, et donc l’honneur sont saufs ! Mais quel honneur ? Et l’amour est-il une question d’honneur, un devoir à accomplir ?
La psychanalyse qui connaît une des formes les plus fortes et multiples de l’amour, au travers du transfert, et qui a pour champ d’étude un Inconscient qui lui est, par essence tout autant amoral qu’innocent, en ce sens qu’il ignore tout des notions de bien et de mal, la Psychanalyse sait très bien que non, ce n’est pas cela !
L’amour n’existe et n’est vrai qu’en tant qu’il s’inscrit en terme de gratuité, de don, de « par-don », et il n’est qu’au travers du respect de la liberté totale de l’autre. Il sort, résolument du cadre séparateur de la Loi et de l’interdit, pour s’ouvrir au dialogue, à l’ « inter-dit » !
Comprendre ceci induit en moi une formidable libération, la chute absolue et définitive du lourd manteau de culpabilité qui m’avait si longtemps empêché de me réaliser, de devenir librement sujet de ma propre existence et de mes choix. Je n’ai pas, je n’ai plus de péché, sauf bien sûr, peut-être, si m’en référant au sens hébraïque du verbe « pécher », qui signifie, stricto sensu « manquer sa cible, son but », je passe à côté de ce qui était, pour moi, mon objectif ! Mais dans ce cas, le péché serait dans le ratage de ma propre réalisation ! car là est bien le seul et unique but de l’existence de tout être humain : sa réalisation personnelle, sa prise en charge délibérée de lui-même, qui le fait exister en tant que sujet !
Aujourd’hui, si j’ai trouvé ma dimension spirituelle dans un judaïsme non pratiquant et a-religieux, après avoir été un chrétien atavique, je reste malgré tout attentif à certaines paroles hélàs galvaudées par une Eglise récupératrice et manipulatrice, parmi les plus subversives de Jésus de Nazareth, Rabbi d’il y a deux millénaires… Des paroles qui valent encore pour notre temps, et parmi elles, dans les « Evangiles », l'épisode controversé de sa rencontre piégeante avec "femme adultère" (voire même "les" épisodes, car c'est un thème récurrent, parce que symbolique de l'amour de Dieu et de sa relation avec Israël !).
Il ne juge pas, il ne condamne pas... Et il renvoie les juges à leur propre jugement sur eux-mêmes, à trouver les réponses à leurs questions dans leurs questions elles-mêmes !
Exactement à la manière d'un...psychanalyste !
Un psychanalyste qui, travaillant sur l'Inconscient sait très bien l’inanité du jugement d’un tiers sur ce dernier qui n'a pas la notion du bien ni du mal, un Inconscient que personnellement, je rapproche de cette notion biblique de "Royaume". Un lieu de bouleversement de ce que nous croyons être nos valeurs et que nous avons l’immense tort de considérer souvent comme absolues !
C'est la sortie du « gan Eden » l’exclusion du Royaume, engendrée justement par la découverte de l'arbre de la connaissance du bien et du mal qui précipite l'homme dans ses réflexions mortifères, lui révélant une "nudité" qu'il ignorait, la honte de cette dernière, et la culpabilité qui en résulte ! La honte et la peur d’apparaître et de se montrer tel qu’on est, avec ses failles et ses faiblesses et, partant, l’impossibilité absolue d’accéder à un dialogue qui pourtant ne pourrait être que libérateur !
Il faut que la parole naisse, croisse et agisse, il faut qu’elle s’incarne dans un dia-logue entre les êtres si l’on veut surmonter le clivage induit par le poids de ces entraves culpabilisantes qui nous privent d’une liberté essentielle, celle d’aimer, qui ne pourrait nous faire que croître !
Pour moi, aujourd’hui, une chose est sûr, absolue : des années de non-dits, étayées de l’apport d’idées toutes faites au moulin de la bienséance et d’un moralisme douteux m’ont apporté bien moins que quelques années de psychanalyse qui ont suffit jusqu’ici à m’ouvrir à cette dimension de l’être, immense, voire infinie qui me fait prendre conscience de ce que jus suis et serai désormais le seul et unique sujet de mon existence et de mes choix, un homme, bien dans sa tête et sa peau d’homme, qui parle ainsi, d'abord parce qu’il se sens totalement libéré du poids de culpabilités aussi pesantes qu'inutiles, conséquences de mon passé, de mon vécu, de mon contexte de croissance… , et ensuite parce qu’il voudrait amener ceux et celles d’entre vous qui doutez de vous-même et de votre capacité à aimer et vous réaliser à écouter enfin les murmures du cœur de votre être :
Les anciens qui y voyaient le siège de l’intelligence avaient raison : il n’est d’intelligence que du cœur !
Iaqov Demarque


Psychanalyste


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