Pour ou contre l’usage des neuroleptiques ?
Par Iaqov (J-M) Demarque, psychanalyste.
Au risque de m’attirer les foudres de certains confrères, je répondrai à cette question en affirmant que je suis pour, du moins dans les cas de schizophrénie productive, c'est-à-dire lorsque le patient présente des crises délirantes ou hallucinatoires (hallucinations visuelles, olfactives, auditives – les fameuses « voix » qu’entend le schizophrène et qui lui enjoignent des ordres, ou qui l’insultent -, voire même, bien que plus rares, hallucinations liées au toucher ou au goût.
Outre le fait que ces crises sont invalidantes pour le patient, et qu’elles peuvent parfois mettre son intégrité physique ou celle des autres en danger, elles pèsent souvent très lourd sur son entourage et le coupent de toute relation, de toute communication normale. Par conséquent, aucune psychothérapie de soutien, qu’elle soit psychanalytique ou autre, ne peut être entreprise, ce qui est d’autant plus préjudiciable que seules ces dernières peuvent finalement assurer une possibilité de guérison durable ! Donc, oui, sans hésiter, je suis pour l’emploi des neuroleptiques, et je ne concevrais pas d’accepter un patient schizophrène sans qu’il consulte régulièrement un psychiatre pour ses prescriptions que je pense être indispensables.
Il est vrai que l’on dit souvent beaucoup de mal des neuroleptiques (ainsi que des anxiolytiques et des antidépresseurs) mais ce mal provient souvent des idées fausses véhiculées à propos de ces produits et d’une méconnaissance de leur fonctionnement. J’avoue d’ailleurs avoir été longtemps, pour ces raisons, « contre », et c’est le fait de côtoyer au quotidien des psychotiques et des schizophrènes qui, me poussant à lire et à me documenter sur la question, m’a radicalement fait changer d’avis. Nombreuses sont en effet les personnes « de la rue » qui présentent l’une ou l’autre de ces maladies mentales, soit qu’elles soient réactionnelles en raison d’un vécu difficile, soit qu’elles aient été, surtout parmi les plus jeunes SDF le principal facteur de leur rejet et de leur mise à la rue.
Que sont les neuroleptiques, et comment agissent-ils ?
Tout comme les antidépresseurs et les anxiolytiques, les neuroleptiques sont des médicaments psychotropes, c'est-à-dire qui agissent sur le psychisme du patient. On les appelle aussi parfois antipsychotiques, car ils sont spécifiques aux psychoses et particulièrement à l’une de leur expression qui est la schizophrénie.
Ils ont été découverts par hasard, au début des années cinquante, par un anesthésiste (Laborit) et par deux psychiatres français (Delay et Deniker).
Actuellement, ils sont présents sur le marché pharmaceutique belge et français au nombre d’une cinquantaine, parmi lesquels les plus connus sont l’Haldol, le Risperdal, le Séroquel ou le Zyprexa.
Le Zyprexa est constitué d’une nouvelle molécule, l’Olanzapine, tandis que le Risperdal est constitué d’une autre nouvelle molécule appelée Rispéridone. Ces deux molécules ont l’immense avantage de diminuer les effets secondaires des neuroleptiques, et particulièrement les dyskinésies, qui sont toujours irréversibles. Le Risperdal est bien connu des parents des enfants autistes, puisqu’il est très souvent prescrit, même à très faible dose, particulièrement dans les cas d’autisme sévère ou dans ceux où les enfants sont particulièrement agités.
Comment fonctionnent les neuroleptiques ?
Les neuroleptiques modifient la chimie du cerveau en bloquant dans ce dernier les récepteurs de la Dopamine. La dopamine est un des principaux neurotransmetteurs et assure la transmission des données dans certains centres moteurs, certains systèmes endocriniens et certaines zones sensibles du tronc vertébral comme celle qui contrôle le réflexe de vomissement. Ce blocage, bien évidemment, ne va pas sans inconvénients, qui constituent les principaux effets secondaires de ces médicaments. J’y reviendrai plus loin dans cet article.
Qui dit modification de la chimie du cerveau, ne signifie pas pour autant modification de la personnalité du sujet, qui reste la même, y compris au niveau des ressentis ou des sentiments, même si ces derniers peuvent souvent s’exprimer de manière différente.
Les neuroleptiques sont essentiellement dédiés aux schizophrènes, et particulièrement aux patients qui, parmi eux, souffre d’une schizophrénie productive (cfr plus haut) : ils permettent en effet la diminution, voire la totale disparition des symptômes délirants et/ou hallucinatoires, condition sine qua non à la mise en place d’un cadre psychothérapique, qu’il soit psychanalytique ou autre.
Sans les neuroleptiques, on en serait encore réduit, aujourd’hui, à devoir utiliser des moyens aussi barbares que dépassés, tels que la camisole de force, la cure de Sackel ( induction d’un coma par injection d’insuline), la malaria thérapie (induction d’une forte fièvre censée faire sortir le schizophrène de ses états délirants ou hallucinatoires) ou encore les électrochocs ou la lobotomie !
Leur découverte constitue donc un progrès considérable, et celle de nouvelles molécules comme la risperdone ou l’olanzapine a permis d’en réduire considérablement les effets secondaires désagréables, voir, dans de rares cas, dangereux.
Toutefois, il convient de mettre un bémol, essentiellement dans deux cas :
- La schizophrénie déficitaire (celle ou le sujet reste prostré, inerte, se replie sur lui-même, devient indifférent, apragmatique, ne paraissant plus éprouver le moindre sentiment.)
- L’autisme moyen ou léger.
Dans le cas de la schizophrénie déficitaire, l’usage , autrement qu’à très faibles doses des neuroleptiques risque d’accentuer les symptômes, ce qui risquerait notamment d’induire encore plus de risque de suicide. On utilise dans ce cas des neuroleptiques plus appropriés, comme le Leponex ou le Solian, toujours à faible dose.
Dans le cas d’autisme, on utilise le plus souvent actuellement le Risperdal, mais je trouve déplorable que certains parents y aient systématiquement recours, hormis les cas d’autisme sévère, ou d’agitation dangereuse pour l’enfant.
Effets secondaires des neuroleptiques :
Les plus désagréables sont constitués par des contractions involontaires de certains muscles (dyskinésies) ou des modifications de la libido (frigidité chez les femmes, impuissance chez les hommes ; absence de désir chez les deux) ou encore par l’apparition de syndromes extrapyramidaux tels que des tremblements, la rigidité de la démarche, la pauvreté d’expression du visage.
On note aussi, très souvent, une prise de poids, une tendance à la somnolence et parfois des modifications corporelles comme le développement des seins chez l’homme, ou encore une galactorrhée, chez la femme comme chez l’homme.
Tous ces effets secondaires cessent à l’arrêt de la prise des neuroleptiques, sauf les dyskinésies qui sont le plus souvent irréversibles, ce pour quoi il convient d’être très attentif dès qu’elles se manifestent.
Enfin, deux effets secondaires très graves, voire mortels, peuvent se manifester, heureusement très rarement, en début de traitement :
- L’agranulocytose, qui consiste en une perte des globules blancs.
- Le syndrome Malin, dont les symptômes consistent en une rigidité musculaire massive et l’apparition d’une très forte fièvre.
Il est donc indispensable que le début d’un traitement aux neuroleptiques soit assorti d’un suivi médical attentif et strict.
Soulignons aussi que la plupart des effets secondaires indésirables et/ou désagréables peuvent être atténués, voire éliminés, soit par une adaptation des doses des neuroleptiques, soit en leur associant une autre médication.
Idées reçues à propos des neuroleptiques :
Ils sont dangereux et présentent un moyen de suicide fréquent.
Non ! personne ne peut mourir en absorbant une dose, même massive, de neuroleptiques. Cette idée reçue tient son origine dans ce qui est hélàs une réalité inhérente à celle de la schizophrénie : en effet, les schizophrènes présentent un risque suicidaire 40 % plus élevé que celui de la population dite normale.
Ils changent la personnalité du sujet.
Non ! Ils ne modifient que ses comportements. Un doux restera un doux, un violent un violent.
Ils guérissent de la schizophrénie.
Non ! ils ne font qu’en atténuer les symptômes, permettant au patient de recouvrer une vie plus confortable, voire normale. Seule une psychothérapie appropriée, ou une psychanalyse lorsqu’elle est possible pourra opérer une « guérison » durable en permettant au patient de pouvoir, à terme, se passer de sa médication. Sans les neuroleptiques, aucune psychothérapie, ni de soutien, ni de fond ne pourrait être menée à bien dans le cas de schizophrènes productifs.
Ils provoquent une accoutumance.
Non, absolument pas. Ce sont les antidépresseurs et les anxiolytiques qui peuvent en induire une.
Conclusions :
Je pense très sincèrement que ni les neurosciences, ni la psychiatrie, ni la pharmacologie ne sont les ennemies de la psychanalyse ou des psychothérapies. Bien au contraire, la compréhension des inductions neurologiques de certains comportements et l’usage approprié de certains médicaments, en améliorant la compréhension du thérapeute et en améliorant, voire en étant la seule voie qui permette la réceptivité du patient sont des éléments essentiels de la réussite de toute thérapie, qu’elle soit de fond ou de soutien dans des cas qui d’ailleurs, il y a quelques années encore restaient apparemment inaccessibles aux psychothérapie et surtout à la psychanalyse.
Je pense aussi que, quelque soit notre discipline ou notre orientation, ce qui devrait nous guider en tout premier lieu, ce n’est pas la défense irraisonnée de nos chapelles, mais l’intérêt du patient, qui passe dans bien des cas par la collaboration, le partage et la multidisciplinarité.
Enfin je crois que la psychanalyse, invention géniale d’un neurologue du 19ème siècle nommé Sigmund Freud, a tout intérêt, tant pour son avenir que pour le bien être de ses « analysants » a se remettre en question en acceptant cette collaboration et cette multidisciplinarité, et en adaptant son cadre aux réalités du temps présent et à celles de ses patients. Ceci est d’autant plus évident pour moi qui travaille soit dans la rue, soit dans des milieux particulièrement précarisés, que ce soit avec des SDF présentant des psychoses réactionnelles ou autres, des schizophrènes, ou encore avec des enfants présentant des troubles autistiques ou des troubles graves du comportement résultant essentiellement d’un vécu difficile, voire insupportable. Freud lui-même, qui se prit parfois à rêver à un lieu où même les plus démunis pourraient recevoir les bénéfices de la psychanalyse, Freud le neurologue, aurait eu, s’il lui avait été donné de vivre à notre époque, une toute autre approche !
Jean-Marie (Iaqov) Demarque
Psychanalyste
Sources :
La schizophrénie, Catherine Tobin, Editions Odile Jacob, Paris 1998.
La schizophrénie : la reconnaître et la soigner, Pr Nicolas Franck, Editions Odile Jacob, Paris 2006.
Cerveau et comportement, Bryan Kolb & Ian Wishaw, Editions De Boeck & Larcier, Bruxelles 2002.
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RépondreSupprimerJe trouve cette communication remarquable et enthousiasmante . Le Premier point , est de reconnaître que nos connaissances , et pharmacologiques , ici , soient dédiées en prime , abord à l'être Humain qui souffre et que tout doit être fait en priorité pour l'aider à sortir de l'Enfer Mental et physique dans lequel la Pathologie l'emprisonne . La Maladie est évolutive , et si la pharmacologie permet au patient de se modifier favorablement et de devenir ultérieurement accessible à une Psychothérapie , c'est tant mieux. J'ai toujours pensé qu'il devait être possible , pour garder une ' Large ouverture d'Esprit ' , que la Psychanalyse puisse travailler en commun et en accord avec les Sciences Humaines , et les Neuro-Sciences , afin que les avancées réalisées , dans chacune d'entre elles puissent avoir parfois d'heureuses retombées pour les Autres . Il est exceptionnel de rencontrer un grand psychanalyste , féru également de Clinique psychiatrique , d’après ce qu'il nous décrit , qui ne soit pas muré dans sa Chapelle , pensant qu'elle résume , à elle seule toutes les Vérités possibles pouvant exister . J'en termine , pour souligner que toute ma vie Médicale , j'ai été un Pourfendeur infatigable des effets indésirables des Médicaments , en général , et des Tactiques purement commerciales , animant trop de Laboratoires . Il m'est donc facile de dire , au passage , qu'ils nous ont débarrassés de la Tuberculose et Syphilis , et de la Camisole de force avec les neuroleptiques , et qu'associés à la Psychothérapie , ils rendent d'immenses Services , dans les Etats Dépressifs. Certes, dans beaucoup de Pathologies , bien que rejetés avec force par l'opinion , depuis le Scandale du Médiator , et dénommés souvent comme ' des Béquilles Thérapeutiques ' , ils permettent la Survie d'innombrables patients , et qu'ils permettent , par exemple , depuis 1926 environ , la survie de Tous les Diabétiques de Type 1 , grâce à l'emploi quotidien de l'Insuline. ( qui n'est plus utilisé dans les Cures de Sakel pour schizophrénie depuis les années 40 environ ). Médecin-chef de Service d'un Service de Médecine Interne retraité.
RépondreSupprimerJean-Marie LE MARCHANT