mercredi 11 avril 2012

Psychanalyse et désir : un article de Saverio Tomasella.

Psychanalyse et désir


Saverio Tomasella

 


La fin de la cure psychanalytique à proprement parler, pour peu que cette fin soit décelable et précise dans le temps, ne met pas pour autant un terme à la réflexion qui habite l'être qui cherche un sens à sa vie, à partir du non-sens de l'existence et du chaos de son histoire. Cette quête est signe de vie, si l'on accepte de sortir d'une volonté de maîtrise et d'agencement, pour accueillir ce qui fait sens au travers de toutes les expériences créatrices du quotidien, c'est-à-dire ce qui permet d'approcher, de conforter, d'enrichir et de laisser évoluer son propre sentiment d'identité.
La principale visée de la cure psychanalytique est donc de rendre à l'être sa mobilité psychique et certainement pas d'organiser son moi pour qu'il soit – apparemment – fort et possède un savoir pour faire face aux difficultés de 1'existence. La psychanalyse ne donne pas de recettes, ni contre l'angoisse, ni contre la souffrance, ni contre le doute. Elle ouvre l'horizon de la vie, elle donne à l'être le goût d'oser ses désirs et le courage de les confronter à la réalité, de les affirmer, tout en sachant que, peut-être, ils ne trouveront pas si facilement et si tôt à se mettre en œuvre, à s'incarner comme le rêve les avait dessinés. Il n'est de rêve, comme il n'est de désir, que dans la transformation, dans l'ajustement de l'être humain au va et vient des possibles. Très loin de tout effet miracle, la cure psychanalytique permet au sujet d'étoffer la confiance dans sa capacité créative à mettre en jeu, à chaque instant, la part de son désir qui exprime ce qui peut féconder ici et maintenant sa relation à l'autre et son rapport au monde. Cette sereine assurance laisse se déployer en soi l'énergie d'être là, situé avec justesse, dans un mouvement et par une parole dont chacun peut répondre, au moins partiellement, sans se trahir soi-même. Alors, peut-être que finir une psychanalyse serait se sentir désirant de quitter un cadre limité et privilégié, pour mettre en circulation dans la totalité de sa vie, une attitude juste, centrée, authentique et courageuse. Poser sa liberté (re)trouvée en actes exprimera ainsi sa propre identité, actes qui la nourriront en retour.

C'est dans la relation continue et fluide avec son soi profond que le sujet se donne à être, à la fois, dans la plénitude et la précarité de son humanité, soit être capable d'aimer et de vivre, sans forcément attendre en retour et sans nécessairement devoir s'attacher à quelque certitude. La psychanalyse n'apporte pas de réponse : elle en rend le besoin inutile. La psychanalyse n'est qu'un chemin vers l'être, elle est une expérience vivante entre une personne qui écoute, l'analyste (qui a lui-même réalisé pour et sur soi-même une ou plusieurs psychanalyses très approfondies) et une personne qui parle, l'analysant.

De leurs expériences cliniques, certains psychanalystes ont tiré un ensemble de considérations générales sur l'âme humaine et sur l'être humain : c'est ce que l'on appelle la théorie psychanalytique. Ses principaux élaborateurs sont, entre autres, Freud, Ferenczi, Lacan, Dolto, Winnicott, Balint, Khan, Searles. Voici, proposée brièvement, la conception de l'être humain qui sous-tend toute démarche psychanalytique car la nature humaine est multiple et mouvante et l'être parfait n'existe pas ; l'humain est fondamentalement imparfait parce qu'en devenir. Nous oscillons tous, en permanence, entre amour et haine, euphorie et déprime, enthousiasme et indifférence, sympathie et antipathie, attirance et répulsion, positif et négatif, bon et mauvais, etc.

Pour illustrer ce qu'est l'individu, Winnicott dit justement : L'eau est boueuse, mais ce n'est pas de la boue. L'être humain est à la fois homme et femme, ainsi que le décrit la Genèse (Dieu créa l'être humain à son image, homme et femme il le créa). Freud a posé comme un fait constitutif de l'être humain ce que l'on appelle la bisexualité psychique. Cette expression renvoie à la présence en chacun de nous, quelle que soit sa nature physique unisexuée, d'éléments de féminité, regroupés sous le terme de féminin et d'éléments de masculinité, regroupés sous le terme de masculin. L'une des visées d'une cure psychanalytique est la réalisation d'un équilibre, d'une harmonie intérieure entre ces deux aspects complémentaires de notre personnalité. Cet équilibre peut évidemment exister parfois de façon naturelle chez certains êtres.

Le désir étant la marque de l'être humain, toute psychanalyse vise à libérer en chacun son désir le plus profond, ses désirs vrais qui, à la différence des besoins dont la satisfaction ne peut pas être différée longtemps (boire, manger, dormir ...), s'inscrivent dans un cycle long qui fait intervenir la rencontre et l'échange avec l'autre, avec les autres. Ainsi, le désir est moteur de lien social mais aussi et surtout de créativité car le désir est infini, nous dépasse et nous pousse toujours plus loin dans notre humanité, dans notre qualité d'être.

Si l'on croit, à la suite de Françoise Dolto, que le désir premier et primordial de l'être humain est le désir d'évolution, on peut avancer que :

- tout ce qui nie ce désir est inhumain,
- tout ce qui retourne ce désir est pervers,
- tout ce qui contrarie ce désir est pathogène.

La psychanalyse aide à sortir des impasses liées au non-respect de ce désir de vie. Par conséquent, pour la psychanalyse, l'éthique humaine repose sur quatre principes qui découlent de ce respect de la vie :

1. l'interdit de l'inceste (et de l'abus sexuel sur l'enfant, ou sur le patient).
2. l'interdit de meurtre (tant physique que psychique, torture, harcèlement...) qui sont les interdits majeurs de toute civilisation.
3. l'exigence de non-possession (emprise, manipulation, utilisation de l'autre ...).
4. l'exigence de non-mutilation (physique et morale) qui signe le degré d'évolution d'une société. L'être humain est posé comme un être libre de son existence, responsable de ce qui fait la vie et l'humanité en lui-même et en chacun de ceux qui l'entourent, quels que soient leur race, leur religion, leur philosophie, leurs choix de vie...

Saverio Tomasella

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire