jeudi 21 juillet 2011

De la liberté et de l'engagement - Considérations pêle-mêle relatif au titre même de psychanalyste

Par Agnès Rouby, Psychanalyste.


L'objectif de tout psychanalyste est de favoriser et d'accompagner la réflexion que nos analysants ont déjà plus ou moins amorcé. Disons qu'elle est latente. Réflexion intime s'il en est. Prendre acte d'une souffrance, d'une répétition, et désirer en comprendre les mécanismes afin de gagner cette liberté d'être. Advenir en tant que sujet. Toucher la liberté d'être, de se positionner en toute sérénité. Le psychanalyste, dénué de liens et d'affects avec son patient, permet ce cheminement, au travers du transfert. On le sait tout ça.

Le supposé savoir, que l'on nous prête ... quelle puissance et quel moteur pour nos patients ...

Bref. Sortons du cadre de la cure, cadre dans lequel nous avons plus que notre légitimité, notre place. Les personnes viennent à nous, avec une demande (on le sait, même si elle n'est pas nécessairement exprimée ou mal exprimée en première intention. Elle existe tout de même, sinon on reste chez soi).

Donc le titre de psychanalyste nous confère une légitimité plurielle : celle du savoir, celle de la réflexion, celle du non jugement, celle de l'attention, celle ... Dans les liens qui s'opèrent avec d'autres professionnels, psy ou non psy, notre titre renvoie un gage de sérieux, de professionnalisme, etc. Il nous ouvre des portes, garantit la plupart du temps une écoute et une attention de la part des institutions, d'autrui.

Et depuis quelques temps je réfléchis à un autre point qui m'amène à penser que ce titre nous dessert aussi.

La vie privée, les relations que nous avons, que nous avions, l'environnement du quotidien. Ces personnes que nous cotoyions avant de poursuivre nos études, avant de nous soumettre à ce grand voyage intime de la psychanalyse, avant de passer par la didactique, avant de recevoir nos premiers patients, avant de rencontrer le monde. Car la psychanalyse ouvre sur le monde. ... Ces personnes qui, forcément, à un moment donné, nous voient changer, évoluer, moins disponibles à entendre les sempiternelles plaintes stériles, stagnantes, invalidantes. Avec ces personnes qui font notre entourage affectif, nous ne pouvons pas opérer la juste distance car leur plaintes existent par elles-mêmes, en l'état, surement sans réel envie de les voir disparaître. Mais nous les entendons, nous comprenons d'emblée les fonctionnements, nous savons là où le bas blesse ... Elles nous parlent ... pour parler. Evitant ainsi, pour certaines, de se lancer et s'investir dans un travail personnel qui pourrait leur être d'une aide réelle (les sempiternels "trop long, trop cher, etc") Ben non, puisque nous sommes là, l'oreille bienveillante, tendue ... L'accès gratuit à la recherche du professionnel qui "sait" ou qui est "sensé savoir".
Nous passons de l'amitié à un réceptacle de plaintes diverses et variées.

De l'énergie qui fuit, de la distance qui n'existe pas, de l'affect bien présent. Nous passons de la relation amicale, familiale, à la relation d'aide dont on ne veut pas, ni les uns ni les autres. Quelle culpabilité, encore, se met en place ? Et le système devient pervers.

"Tu m'écoutes mais tu ne comprends pas vraiment"
"Dois je te payer pour que tu m'accordes du temps ?"
"Depuis que tu as fait ton travail, c'est facile pour toi"
"Tu es psychanalyste, alors tu es au dessus de nos petits soucis maintenant"
Et la dernière (pas plus tard qu'hier soir) : "Depuis que tu as pris du galon, tu pètes plus haut que ton cul". (Exceptionnelle celle-ci, non ?) (Evidemment j'y entends une auto dépréciation projetée ...)

On ne peut plus être soi, dire des choses courantes, simples, sans que l'autre se sente en danger d'être "analysé". Cette problématique ne nous appartient pas ...

Que répondre à cela ? Rien. Rien de rien.

Pourquoi ? Parce-que je n'ai pas à justifier de ce que je suis devenue, advenue. Parce-que, en effet, j'entends que tu te complais dans ton mal-être, parce-que si je te parle de bénéfices secondaires, tu vas dire que "je me la joue" avec mon vocabulaire que tu ne comprends pas, que tu ne veux pas comprendre. Parce-qu'il est toujours plus facile de critiquer négativement l'évolution et le détachement d'un sujet d'un groupe, plutôt que de seulement penser "mais alors, c'est possible de réfléchir autrement et d'évoluer". Voilà pourquoi je ne réponds rien.
Parce-que cela ne sert à rien ... Et viendrait quelque part valider le besoin que j'aurais de me justifier d'être ce que je suis. Et je n'ai pas ce besoin, je ne l'ai plus depuis bien longtemps.

La jalousie ... quelle vilaine chose, qui fait appel à notre propre impuissance à nous positionner, à nous remettre en question, à évoluer, avancer, vivre.

Le désir de l'autre (chouette, un désir !) de nous mettre à défaut, d'essayer coûte que coûte de nous pousser à l'argumentation ... sentiment puéril s'il en est, adolescent de celui qui n'existe pas pour lui, par lui. Un fantasme d'être.
Pas de jugement de ma part, pas de colère, pas de sentiment d'injustice. Juste une grande fatigue.
Alors je choisis de m'éloigner, je choisis d'aller vers ces portes qui s'ouvrent, ces rencontres que je mérite, oui je les mérite parce-que j'ai fait en sorte de m'ouvrir à ces rencontres qui me font réfléchir, avancer. Et tant pis. Tant pis pour ceux qui restent en arrière. Tant pis pour l'incompréhension qu'ils me renvoient. Tant pis pour leurs craintes, les paroles injustes et infondées. Tant pis. Vraiment, tant pis.

Cet article n'est pas vraiment un article mais une réflexion que je partage car je gage qu'elle vous parle aussi. Le tri se fait autour du psychanalyste mais ce tri n'est pas négatif car il permet à d'autres de venir et à nous d'aller vers d'autres.

Je suis libre d'être celle que je suis et je refuse que l'on m'enferme dans des engagements qui n'appartiennent qu'aux autres. Je laisse à chacun sa responsabilité d'être ou de ne pas être.

Agnès Rouby
Psychanalyste

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