dimanche 21 août 2011



  
Un article de Sandra Verdrel, Psychanalyste.

 Pour rappel, dans le premier article que je vous ai proposé concernant la psychopathologie
 de l’enfant Maghrébin dans sa représentation culturelle ; nous avons abordé : l’Autisme,
l’arriération mentale et l’enfant malformé. Ce type de tableau clinique étant inclus dans
la catégorie des enfants « dits Particulier » selon la logique du pays.

Ensuite le deuxième article faisait état du Statut des étiologies traditionnelles, afin de
mieux comprendre dans cette 3eme partie, comment s’articule le diagnostic du
guérisseur qui soigne selon ses pratiques bien à lui, selon un savoir faire strictement
codifié, conformément à la culture originelle et, l’apport de la médecine occidentale
qui devra prendre très au sérieux, les représentations qui lui seront proposées !


Dans le domaine de la maladie infantile, prenons l’exemple tout simple de la «rougeole »
qui est l’une des maladies la plus banale et la plus courante qui soit et, dont la signification
ici, dans notre société ; n’aura pas la même importance qu’auMaghreb.

Parce qu’il faut savoir, qu’avant les Indépendances, la rougeole était considérée comme
une maladie extrêmement dangereuse qui faisait des ravages ! Du fait que dans certaines
régions, les nuits sont glaciales et que les enfants en prenant froid ; mourraient de ce que
l’on appelait, « la rougeole rentrée ». C’est ainsi par exemple que dans le Sud-est
algérien, cette maladie était particulièrement redoutée et, donnait lieu à toute une série
de soins et de rituels où, l’enfant était alors soigneusement gardé à l’abri des regards
extérieurs ; la mère prenant un maximum de précautions par crainte du pire.

En fait, la rougeole faisait aussi très peur parce que, dans les différentes représentations
culturelles au Maghreb, notamment en Algérie ; il s’agissait avant tout d’une maladie qui
était provoquée par l’attaque du Djinn rouge « Bou Hamroun ».(1)
Pour ne pas irriter celui-ci d’avantage, la mère ne nommait JAMAIS la maladie, mais
disait simplement : « Il a le Sultan ou le fiancé ». Par ex, à El Haouch, petite Oasie
située à une cinquantaine de kilomètres de Biskra, pour plaire au Djinn et aussi pour faire
« sortir les boutons » on habillait l’enfant tout en rouge.(2) Plus classiquement ailleurs, dans
les autres régions, on se contentait de lui couvrir la tête d’un foulard rouge. Ensuite, on
tenait l’enfant au chaud en lui faisant boire de la tisane de bourache pour le faire transpirer.
Pour « activer l’éruption, on lui donnait aussi deux cuillères à soupes d’huile d’olive
mélangées à du miel et, on le nourrissait avec du bouillon de lentilles ».(3) Enfin, pour
terminer la mère faisait des fumigations de Jawi (benjoin) et deBkhour (encens) pour
protéger l’enfant et éloigner le Djinn.


Au niveau des Ethno-théories.


Les deux étiologies qui vont être les plus incriminées dans la pathologie infantile sont :
Le Mauvais œil (Aïn) et les Djinns ou (Jnoûn au pluriel).

On aura donc 2 grandes catégories dans lesquelles on va pouvoir classer certains
troubles, certaines manifestations liés à la psychopathologie de l’enfant.
Dans la catégorie du Mauvais Œil (Aïn) ; on pourrait citer brièvement

- La Dépression du Nourrisson.


Consécutive à un dysfonctionnement interactif dans les relations précoces. Soit, parce que
la mère a fait un épisode du poste –partum, soit parce qu’elle a fait une dépression en
réaction à certains évènements (conflits familiaux, grossesses successives, difficultés
financières) ce qui ne va pas lui permettre,d’instaurer la préoccupation
maternelle primaire, censée constituer le contenant pare-excitant qui devrait préserver
le nourrisson.
 Lequel, laissé dans un état de détresse présentera les signes que nous
connaissons bien : insomnie, anorexie, vomissements, pleurs discontinues etc.

Dans le domaine de la Périnatalité, l’Aïn sera particulièrement redouté, du fait que pendant
la grossesse, la future mère est extrêmement fragile étant donné, qu’elle est située à la
lisière des deux mondes. On dit d’ailleurs : « Que sa tombe est ouverte depuis le moment
de sa fécondation jusqu’au 40eme jour après l’accouchement et, qu’elle a un pied dans ce
monde et un pied dans l’au-delà » !


Quand la dyade est frappée par le Mauvais oeil, la maman est saisie par des angoisses de
mort concernant son bébé : ce dernier, pleure, crie, refuse le sein, demande à être porté
en permanence. Surtout en présence d’une tierce personne et, présente aussi des troubles
du sommeil qui peuvent être très graves et même entraîner la mort.(5)

Toujours dans le registre des Etats Dépressifs on aura également :


La dépression du jeune enfant que l’on appelle en Algérie : La jalousie du tout petit
« EL GHIRA » ou Bou-bà aran dans le Constantinois et qui signifie approximativement
gros intestins ! Maladie causée aussi par la jalousie (N. Zerdoumi). Cette « jalousie »
survient surtout lors d’une nouvelle naissance.L’arrivée d’un nouveau bébé ne fera que
 renforcer ce sentiment d’abandon chez l’aîné qui va se mettre tout à coup, à devenir
pleurnichard, coléreux, tyrannique demandant sans cesse à être porté par la grand-mère,
la grande sœur ou la tante. On dit alors « qu’il est jaloux » ! Cette jalousie qui, au départ
n’inquiète pas vraiment les adultes et qui peut même parfois les amuser ; peut cependant se
transformer en une pathologie gravissime avec les signes liés à la perte du lien d’attachement :
Troubles du sommeil+++, anorexie, amaigrissement++, Diarrhée, vomissements++
tristesse, pleurs, gémissements « surtout si la mère s’absente ; l’enfant ne supportant pas
l’éloignement de celle-ci » ! On observe aussi quelquefois, une régression des acquisitions
(On dit qu’il veut rester petit).


Dans la croyance populaire, c’est durant cette période particulièrement fragilisante que
l’esprit invisible qui accompagne la Tabaâ ; « la Djinnya Oum-Sébia »
(au Maroc) va s’attaquer à l’enfant et le faire mourir.

-Durant l’attaque, les symptômes présentés sont :

Crise tonico-clonique, perte de connaissance, révulsion oculaire, sudation.

- Rituel thérapeutique.

On fait tinter une cloche ou du métal pour que la Djinnya lâche l’enfant ou, on lui
met une clef dans la main ! On peut aussi jeter du sel sur le sol (pour éloigner le
mauvais esprit).
Ensuite pour protéger l’enfant, le Taleb (7) ou le Fqih prescrira une amulette écrite en
pendentif.

Dans l’interprétation culturelle de la « Jalousie du tout petit », on assiste à
une succession de systèmes étiologiques dès lors, où celle-ci, se transforme en
pathologie grave. En passant de la catégorie de l’Aïn (mauvais œil) à celle des Djinn
et même celle de la Sorcellerie. Ce qui nous à penser, que l’enfant rendu fragile par
le mauvais œil, peut être attaqué par une Djinnya qui va tenter de l’emmener dans son
monde ; soit par une attaque sorcière, comme la « Serra » (8) par ex, au Maroc qui, lorsqu’elle 
 est mise en présence d’un bébé de moins d’un an, va attaquer ce dernier
par l’odorat d’une manière foudroyante et lui faire subir une effraction qui peut être
rapidement mortifère (M.Bettich).

3 rituels pour faire accepter le nouveau-né en Algérie.


1) Dans la région de Tlemcen, on place entre les doigts du nouveau-né, autant de
petits morceaux de sucre qu’il y a de frères et sœurs dans la famille. Puis, on les
appelle à tour de rôle et on les invite à prendre dans la main du nourrisson, le sucre
qu’ils doivent avaler immédiatement.


2) toujours dans la même région : On place dans la main du nouvel arrivant, un œuf
dur qu’il est censé apporter à son aîné en don de joyeux avènement.


3) Dans tout l’Ouest algérien, une autre pratique consiste à mettre sous le nouveau-né
couché autant d’œufs qu’il y a d’enfants. Après qu’il les aura souillés, on les donnera
à manger aux sœurs et frères aînés ( N. Zerdoumi).

A travers ces rituels, on retrouve l’idée d’un lien d’attache créé par l’intermédiaire
d’une substance évoquant la douceur (sucre) et la blancheur (œuf) symbole de vie.
Or, ingérer la substance de l’autre c’est du même coup « être identique »
être même que… !


Techniques thérapeutiques pour soigner l’enfant victime du Mauvais Oeil :

En règle générale dans la pensée maghrébine il existe de nombreux moyens de
protéger les enfants des effets pernicieux de l’Aïn. On leur fait porter une main de Fatma
ou un coquillage dont la forme symbolise un œil. Pour guérir un enfant victime de l’Aîn,
on s’adresse à un Taleb ou au Marabout qui confectionnent un talisman que l’on accroche
 à son cou. Cette amulette voisine souvent avec d’autres objets à qui l’on
attribue un effet prophylactique : œil en pendentif, épingle neuve, dents de hérisson.
On placera également sous l’oreiller du petit : verset du Coran, couteau neuf, miroir etc.


Le traitement le plus appliqué dans le Maghreb pour soigner le nourrisson de l’Aïn
repose sur la mesure à-l’ empan- dite « Chbir ».

L’enfant est allongé à plat ventre sur les jambes de sa mère qui le mesure de la tête
aux pieds, en utilisant comme jalon un morceau d’alun.

Puis, elle prononce la formule sacrée : « Que l’œil du jaloux soit crevé par un bâton,
que l’œil de la fille tombe dans un vase de nuit, l’œil de la femme dans les excréments,
l’œil de l’homme dans la citerne.

L’opération est répétée sept fois, puis l’alun est jeté dans la braise du kanoun.
En se calcinant, il forme des bulles qui ont l’apparence de pupilles. On ramasse le tout
avec une cuillère et on le plonge dans l’eau d’une casserole posée sur la tête de l’enfant.
L’œil ayant été détruit par l’eau et le feu.


Autre rituel thérapeutique à Tlemcen.


Toujours avant les Indépendances et même plusieurs années après, on s’adressait
à la qâbla Lalla Fatima qui prenait de l’alun, quelques petites tiges de balai, du crin
végétal et du sel. Ensuite, préparait une boule et faisait tourner 10 foisl’ensemble
autour du kanoun rempli de braises ;en prononçant 10 fois la formule d’exorcisme :
« Ô guérisseur, ô éloigneur du mal, ô bénisseur, l’œil du rat, l’œil du voisin, l’œil de celui
qui passe le seuil de la maison, l’œil de celui qui ne fait pas la prière au nom du Prophète ».

 Après avoir terminer ces incantations, la quâbla, plaçait la boule sur la
braise, la laissait se consumer jusqu’à ce que l’alun se calcine et forme une sorte
d’enveloppe bouillonnante. Puis, à l’aide d’une cuillère, jetait cette boule dans l’eau
de la casserole que l’on avait placée auparavant sur la tête de l’enfant. Après quoi,
versait le tout dans la bouche d’égout ou dans la cuvette des toilettes.
Bâiller au cours de l’opération, signifie que la guérison est certaine et proche.


Conclusion.


Comme je l’ai déjà dit, chaque culture possède ses modèles pathologiques et
ses systèmes thérapeutiques qui s’avèrent efficace dans l’univers originel
parce qu’ils correspondent à une certaine logique. Ce n’est donc pas à une question de folklore
 que l’on a affaire. Mais, à une question de culture,de manières de faire autres...
Ce qui implique la différence et aussi l’humilité ! Car si le professionnel s’autorise
à se décentrer suffisamment et à respecter le savoir parental d’une famille migrante
par exemple, son intervention sera d’autant plus facilitée ; en ce qu’il n’aura pas chercher
à imposer un savoir uniquement occidental. Mais qu’il aura essayé de comprendre
et d’introduire du sens par des processus d’identification.



Article de Sandra Verdrel extrait d’un Colloque :
« Psychopathologie du jeune Enfant au Maghreb dans sa représentation culturelle ».
Tous droits strictement réservés.



Notes de références :

1- Le père des rouges, c-à-d, le maître de la famille des rouges.
2- Couleur préférée des Djinn.
6 - Lettré, savant qui peut être enseignant du Coran, guérisseur ou sorcier il existe des Fqihs divins ou sataniques.
7- Etudiant, lettré, maître d’école qui peut être ensorcelleur/ désensorcelleur.

8- Mouchoir nouée en forme de bourse contenant des objets composites :
poils de pubis, cheveux, rognures d’ongle, sang menstruel, sperme, verre de
pare-brise accidenté, sang d’un homme décédé d’une mort violente (meurtre).


Bibliographie.


Neffisa Zerdoumi « Enfants d’Hier » éd Maspero 1979.
Sandra Verdrel « Psychopathologie du jeune enfant au Maghreb dans sa
représentation culturelle. Colloque.
Mohamed.bettich « Représentation culturelles de la périnatalité au Maroc ».
Ed, l’Afrée Cahier Juin 1995.
Belguedj.M.S. « Médecine traditionnelle dans le constantinois. Strasbourg Imp.
Cultura, Belgique, Wetteren 1966.

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