samedi 6 août 2011

l'Ambiguïté d'être et du vouloir être: Observation de cas. Par Sandra Verdrel, Psychologue Clinicienne, Psychanalyste.

Les Administrateurs et les Intervenants Agréés de l'Association UTOPSY-LA NEF DES FOUS remercient cordialement Sandra Verdrel qui leur permet de reproduire sur ce blog des extraits du sien !
Pour l'Asso UTOPSY-LA NEF DES FOUS,
Jean-Marie Demarque,
Psychanalyste,
Président.





Par Sandra Verdrel, Psychologue Clinicienne, Psychanalyste.

OBSERVATION N° 2 : LAURA


            Laura est issue d’une famille monoparentale et vit dans l’une de ces banlieues pluri-ethniques où la population israélite y est très importante. Comme tous les enfants, c’est à l’école –« Lieu par excellence »- des apprentissages et de l’échange, qu’elle va découvrir « ceux d’en face » !… ; c’est-à-dire les petits juifs avec lesquels, elle établira très vite certains liens. Notamment, avec Déborah, une élève de sa classe qui va devenir au fil du temps bien plus qu’une amie, mais véritablement son alter ego… sa sœur de cœur en  quelque sorte !

            En effet, les deux fillettes grandissent ensemble et ne se quittent plus, partageant tout, même le chabbat et  les jours de fêtes. Laura faisant désormais partie, de cette famille juive  qui l’accueille avec beaucoup de générosité et qui sans le savoir, va jouer un rôle déterminant dans la structuration de cette enfant ; laquelle, progressivement, va se mettre à intégrer les règles normatives d’un Judaïsme qu’elle côtoie au quotidien et qui va devenir par extension, son propre quotidien.

            A l’adolescence, Laura sera en butte aux différents problèmes des identifications et de l’affirmation de soi « en tant que sujet » ; d’autant, qu’elle est à l’âge où le conflit « Surmoi – Idéale moi » est l’un des conflits clefs de cette période ; et qu’il faut trouver un compromis qui lui permette, de se forger une identité sociale et personnelle à travers, de nouveaux repères identificatoires proposés  soit, par le milieu familial soit, par des images idéalisées de substitution trouvées à l’extérieur. Ce qui nous amène à penser que la famille de Déborah  à cette époque de crise, ait été particulièrement surinvestie comme « Bon Objet » par cette toute jeune fille qui se dit alors mal dans sa peau et qui est à la recherche, d’un point d’ancrage !… C’est sans doute ce qui va la conduire à prendre la décision de se convertir à sa majorité pour être selon elle, en adéquation avec ce qu’elle ressent vraiment !!

            La  réponse du Beth Din de son côté, ne se fera pas attendre et, après un premier entretien avec le Rabbin chargé des conversions, Laura est admise comme candidate.

Cette dernière, aura un parcours impeccable, se révélant extrêmement brillante, motivée, tout en restant modeste et très stricte quant aux codes vestimentaires (Tsniout)[1] , devenant presque un exemple pour les autres filles de la communauté qui la surnomment « La Rabbanite[2]  ».

            Au bout de deux années, la jeune fille passe avec succès l’examen écrit et oral. La conversion est donc toute proche ! Cependant, quelque temps avant qu’elle ne passe au Mikvé [3] ,plusieurs appels téléphoniques, préviennent le rabbin que la jeune postulante vit avec un garçon et qu’elle est enceinte.

            Celle-ci, est d’office convoquée au consistoire pour s’expliquer et, bien évidemment, nie farouchement avoir des relations avec un homme, indiquant avec force et détails qu’il y a très longtemps qu’elle a rompu avec le seul garçon qu’elle n’ait jamais fréquenté ! 
Loin d’être convaincu, le rabbin s’informe de son côté et lui demande, d’aller consulter un médecin afin de lui fournir un certificat médical, attestant qu’elle n’est pas enceinte. Quelques jours plus tard, ledit certificat, est envoyé et ne fait mention d’aucune grossesse.

            Pour autant, les coups de fil continuent d’affluer au consistoire. C’est alors que le rabbin décide de repousser la conversion à plus tard, prétextant que Laura est encore très jeune…, que rien ne presse et qu’il lui faut bien réfléchir quant à l’engagement qu’elle veut prendre.


            Au bout de six mois, cette dernière est de nouveau conviée à se présenter au service du Beth- Din. La jeune fille arrive accompagnée d’un homme ! … celui-là même, avec lequel elle était censée avoir rompu, présentant par ailleurs, un état de grossesse avancé « d’où, l’urgence–pour elle- d’être convertie afin que son enfant soit reconnu comme juif ».
Devant l’aberration d’une telle demande formulée de façon aussi abrupte, le rabbin répond par la négative et met fin à l’entretien.

Pour conclure

 Plusieurs mois après la naissance de l’enfant, Laura écrit au consistoire pour s’excuser de sa conduite et informer le rabbin qu’elle s’est mariée civilement, lui demandant d’autre part, de bien vouloir reconsidérer sa conversion.


POSITION DU RABBIN MALKA


            Encore une fois, il n’y a pas grand-chose à dire car les faits parlent d’eux-mêmes ! Pour l’instant, il faut attendre qu’il y ait une prise de conscience de l’acte mensonger. D’autant, qu’ici dans ce service, nous sommes en permanence confrontés au problème de la mixité. Laura n’est donc pas un cas isolé. En outre, comme je l’ai déjà dit –« une fois que la faute a été commise, autant essayer de tout faire pour la réparer »- Alors, pourquoi mentir ? pourquoi tout ce stratagème pour arriver à ses fins ? il eut été tellement plus simple de nous dire la vérité dès le début ! ce qui nous aurait permis de démarrer sur des bases plus saines !! Parce que, je reste convaincu que cette fille avait une véritable volonté de se convertir et que le Judaïsme qu’elle a découvert dans la famille de son amie, l’a très certainement marquée et influencée dans son choix de vie par la suite.

            Le problème, c’est qu’elle n’ait choisi que le côté facile du Judaïsme, c’est-à-dire, tous les aspects gratifiants et valorisants et qu’elle ait mis à part toute la rigueur, tout ce qui confère la loi et ses interdits.

            Ce n’est donc pas un hasard, si la commission du tribunal rabbinique est constituée de trois rabbins, parce que, l’un regarde un trait de caractère, l’autre interprète le raisonnement, le troisième met à l’épreuve la sincérité du candidat.

            Ces trois actions réunies constituent une véritable analyse. Dans le cas présent, il s’est avéré que Laura ait réussi à nous convaincre une première fois, malgré une certaine fragilité décelée très vite. Néanmoins, nous avions décidé de lui donner une chance, compte tenu, de son vécu. La seconde fois, cela n’a pas été possible car l’évidence était là !


            Notre refus catégorique de la convertir est donc lié au fait qu’elle ne peut pas appliquer la Loi dans la mesure où, elle a été capable de mentir à plusieurs reprises. Comment pourrait-on lui faire confiance pour la pleine observation des Mitsvot ? Ce qui est plus grave encore, c’est qu’elle ait menti à D.ieu avant que de nous mentir à nous autres rabbins.

            Or, il faut savoir que la conversion se base uniquement sur la Emouna[4]  et sur le Emet[5]  sans témoins ! A travers son comportement, cette jeune fille dénonce d’une certaine manière sa non-croyance et son impossibilité à observer cettehonnêteté vis-à-vis du tout Puissant car il lui manque l’essentiel : La Néchama[6]  … c’est-à-dire l’âme ! …

COMMENTAIRE


            Le matériel recueilli dans l’anamnèse de cette jeune fille nous donne déjà quelques indications sur la situation d’ensemble dont le point de départ pourrait bien être une problématiqueidentitaire liée à un phénomène d’acculturation.

            Or, qu’est-ce que l’acculturation ? « Si ce n’est que le résultat d’un contact prolongé et direct entre groupes d’individus appartenant à différentes cultures et aboutissant à destransformations affectant les modèles culturels originaux de l’un ou des deux groupes » [7] . De fait, aucun domaine social n’échappe au phénomène infiltrant de laDéculturation/acculturation. Les gestes quotidiens, ce qui constitue l’intimité de l’individu, sa manière d’être dans le monde sont bouleversés. La question primordiale étant alors : de quelle façon dois-je vivre[8]  ? Faut-il que je me conforme strictement aux - us et coutumes-de cette culture AUTRE, pour être reconnu, accepté ou bien, dois-je rester fidèle à tout ce qui représente mon cadre originel ?

            La réponse, on s’en doute, n’est pas simple ! car la confrontation de deux univers différents pose toujours le problème du Lien et de la perte de quelque chose de soi … donc de l’identité.
La psychopathologie « entre autre » du migrant reste pour nous ethno-cliniciens, l’exemple le plus probant de cette difficulté à assumer la Bi-culturalité et à trouver une vraie place.           


            Alors en quoi l’histoire de Laura peut-elle nous intéresser ? En quoi peut-elle s’inscrire dans ce type de problématique ? Tout simplement, parce que depuis l’enfance, cette jeune fille semble avoir effectué une véritable migration interne, en passant de sa propre culture à celle de son amie Déborah chez laquelle, elle passe la plupart de son temps. Cette proximité étroite et continue avec cette famille qui figure l’environnement  adéquat susceptible, d’apporter le holding et lehandling [9] , va progressivement avec les années, entraîner un processus d’acculturation, chez « cette fille adoptive » qui très vite, va tout ingérer de cette culture juive ! même, si cet apprentissage peut paraître plus ou moins superficiel. Il en résultera malgré tout, une sorte de phénomène d’empreinte[10]  qui la marquera à tout niveau et la placera exactement, dans la même situation d’inconfort que celle des enfants de migrants ou issus d’union mixte ; l’obligeant par ailleurs, à utiliser les mêmes mécanismes de défenses tels que : le clivage, le déni, etc…


            La réactualisation du conflit oedipien liée à la puberté va poser l’inévitable question du « qui suis-je ? » et de la place à prendre ! … Une place située ici et ailleurs… qu’il lui faudra trouver, si elle veut pouvoir réaliser pleinement, cet Idéal du Moi qui lui permette, de se construire comme adulte. Or, l’idée dans l’histoire, c’est que Laura, n’est plus tout à fait la « Même » en raison, des modèles qu’elle a intériorisés tout au long de cette « prise en charge initiatique » et qui l’ont modifiée de nature. Ce qui va l’amener en quelque sorte, à sedédoubler en permanence pour évoluer d’un monde à l’autre et faire face « au conflit identitaire » qui l’anime. Etant donné, qu’elle n’est plus vraiment une goya c’est-à-dire une non-juive, puisqu’il y a une certaine déperdition de la culture d’origine, ni tout à fait une vraie juive, dans la mesure, où elle ne détient pas parfaitement tous les codes, de cette culture d’emprunt du fait ; qu’elle n’est pas encore convertie. Elle est donc hors affiliation, à la lisière de ces deux espaces complètement hétérogènes !!
  
Aussi, pour se sortir de cette position d’anomie[11]  et trouver une place qui lui confère du SENS. Laura décide, de s’inscrire officiellement dans cette religion qu’elle a pour ainsi dire « toujours connue » et qui lui a servi véritablement d’armature, à des moments donnés de sa vie.
           

Cependant, cette tentative d’inscription dans un groupe défini, ne va pas réduire d’emblée la problématique de l’ambivalence parce que d’une part, cette jeune fille a placé  la barre de
 LIdéal du Moi  beaucoup trop haute et qu’ensuite, il lui manque une certaine fluidité au niveau de la mentalisation pour affronter le principe de réalité comme il se doit. ! Ce qui fait que lorsque l’instance Moïque  se sent menacée comme dans la situation présente ; Laura utilisera alternativement pour sa défense soit, sa culture s’origine soit, la culture juive.

L’exemple nous est donné, quand elle fréquente ce jeune homme (qu’elle n’a pas choisi au hasard ! …) et qu’elle se met à vivre avec lui avant d’être mariée. Là, on peut supposer qu’elle fonctionne en occidentale, étant donné que ce type de fait, dans nos sociétés ne représente pas un interdit majeur. Alors que dans le Judaïsme, il s’agit d’une conduite hautement prohibée* !! Or, compte-tenu, de ce qui lui a été transmis et de ce qu’elle a intériorisé de cette culture ; il lui est impossible de se présenter au Beth Din, comme n’importe quelle femme désireuse d’épouser un Israélite pourrait le faire. Parce que, à ce moment là, elle est structurée dans la tête,  comme une fille juive et qu’en tant que telle ; il lui est impossible d’avouer au père symbolique(le rabbin) : « voilà, j’ai fauté ! (pach’arti), j’ai transgressé  tous les principes qui m’ont été enseignés !!

            Aussi, pour contourner la situation, la jeune fille ne pourra recourir qu’à des mécanismes comme le déni, le clivage et le mensonge. Lequel mensonge, elle tentera de réparer en utilisant des éléments de formation réactionnelle qui viendront s’exprimer à travers un parcours impeccable et une conduite exemplaire au sein de la communauté. Laura opérant alors toutes sortes de clivages : clivage entre la culture d’origine et la culture d’emprunt, entre la famille biologique et la famille adoptive, clivage entre Laura la vertueuse, la parfaite à la synagogue etChikra (la menteuse), celle qui  ment à D.ieu et aux rabbins parce que, dans l’incapacité de pouvoir assumer la culpabilité.


En bref, nous n’avons pas assez d’éléments concernant la relation de Laura avec sa mère pour expliquer la problématique « de manque » dans laquelle  se trouve cette jeune fille, une problématique que l’on retrouve préférentiellement dans les familles monoparentales où, la mère
pour la fille, sera plus une copine … voire une complice, qu’une mère interdictrice, ce qui va entraîner une confusion identitaire, une confusion des rôles et une indifférenciation des générations.


            Enfin, pour terminer, malgré toutes ses difficultés, on voit que Laura réussit tout de même à passer des processus primaires à des processus plus élaborés «  comme la formation réactionnelle ». Ce qui dénote une certaine maîtrise des choses.


Aussi, peut-on se demander ce qu’elle cherche quand elle se présente au consistoire six mois après, avec son fiancé et une grossesse presque à terme. Veut-elle mettre le rabbin devant le fait accompli et jouer son va-tout ? … ou  bien est-ce que encore une fois celle-ci, essaie d’utiliser un système de défense tel que le Désaveu « comme forme partielle du déni » pour mettre en scène, donner à voir, ce qu’elle ne peut pas exprimer en mots ?


                                                   CONCLUSION


            Bien que le mensonge soit un mécanisme très archaïque qui vise à travestir la vérité, celui-ci n’en reste pas moins pour le sujet un système de défense, contre l’évitement du conflit mais aussi, un moyen pour préserver la fragilité de ses positions narcissiques.

D’ailleurs, n’est-il pas écrit dans l’un des psaumes du Hallel [12]  de Roch Hodech,   « Je suis plein de toi quand je parle, si humilié que je puisse être  [pourtant] j’avais dit dans ma précipitation : tout dans l’Homme est trompeur ! » ani amarti VEH’OFZI KOL a-adam KOZEV – [psaume CXVL] – (rituel de prières patah elyahou).









[1] ) Tsniout : règles vestimentaires que toute femme religieuse se doit d’observer : jupe longue, bras couverts (perruque ou foulard) pour les femmes mariées, interdiction formelle de porter le pantalon, etc…
[2] ) N.B. : ce nom n’est pas à prendre au sens strict car une Rabbanite, c’est l’épouse d’un Rabbin. Il est plutôt à interpréter comme la vertueuse, celle qui se conforme à toutes les lois !
[3] ) Bain rituel dans lequel, doit s’immerger le candidat le jour de sa conversion avant d’être proclamé Fils ou Fille d’Abraham par l’un des trois rabbins du  Beth Din, présents pendant l’immersion.
[4] ) Emouna veut dire la foi totale, inconditionnelle.
[5] ) Emet, c’est la vérité absolue (l’intégrité, l’honnêteté).
[6] ) Néchama, c’est l’âme, l’élément spirituel de l’être  humain que la doctrine juive proclame éternel et indestructible et qui marque notre capacité d’être en relation avec D.ieu in « Judaïsme de A à Z », ibid…
[7] ) Georges Devereux, in « Ethnopsychanalyse complémentariste », chapitre Acculturation antagoniste, éd. Champs, Flammarion.
[8] ) Psychopathologie des migrants, par « Driss Moussaoui  et Gilbert Ferrey, éd. Nodules, PUF, Paris.
[9]  ) Winnicott D.W., De la pédiatrie à la psychanalyse, ibidem.
[10]  ) Jean Claude Ruwet, in « Ethologie, Biologie du comportement », éd. Bruxelles, 1969.
[11]  ) Durkheim cité par Hervé Beauchesne et José Esposito in Enfants de migrants, éd. Nodules, PUF, 1981.
NB. Ceci, s’applique aux  ultra-orthodoxes et aux  pratiquants traditionnels. C’est le cas de la famille de Déborah. 
 1 ) Louange composée de différents psaumes dont CXIII-CXVIII que l’on chante aux 3 principales fêtes (pessah’, Chavouot et Soukkoth) et à Hanoukka, dans le Hallel abrégé, il y a 11 versets en moins, restent les 2 psaumes.

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