mercredi 10 août 2011

« COMMENT S’EN SORTIR : UNE ÉCRITURE NÉCESSAIRE DE LA FONCTION PATERNELLE DANS LE CADRE DU TEMPS LOGIQUE ». Par Richard Abibon, psychanalyste.


« COMMENT S’EN SORTIR :
UNE ÉCRITURE NÉCESSAIRE DE LA FONCTION PATERNELLE DANS LE CADRE DU TEMPS LOGIQUE »






Par Richard ABIBON

Psychanalyste
 "la psychanalyse c’est aussi franchir ce pas qui consiste de ne jamais faire de diagnostic. La psychanalyse n’est pas mettre une étiquette sur l’autre, c’est s’interroger sur soi dans son rapport à l’autre."


S’en sortir, c’est faire son trou.
Qu’est-ce qu’un trou ? Pour qu’il y ait trou, il faut qu’il y ait surface.


Je vais vous raconter un rêve :

J’étais dans la salle d’attente de mon analyste et il y avait beaucoup de monde. Tout d’un coup, il n’y avait plus de mur entre la salle d’attente et le bureau de mon analyste. Le voilà qui s’approche de moi, me prend par le cou, me dit qu’il faut l’aider pour la réception qui est en train de se préparer. En effet, on est dans un grand hall, avec des verrières. Il faut mettre la table, prendre une très grande planche et la mettre sur ses pieds, des sortes de plots qui ressemblent à des légo. Une fois que c’est fait, je m’intéresse à mon environnement et je m’aperçois qu’à l’extérieur des verrières on aperçois de curieuses formes qui ont l’air d’être en cuivre, des formes qui sont en forme de poire, accolées à la surface du bâtiment. Je ne sais pas ce que c’est. Je ne sais pas où je suis à l’intérieur de ce bâtiment, mais je sais que j’ai vu ces objets quand j’étais à l’extérieur. Donc je suis repéré, je ne suis pas inquiet, je sais où je suis. Je m’aperçois qu’il y a les mêmes objets à l’extérieur, enchâssés dans du verre. A l’intérieur, au plafond de ce grand hall dans lequel il y a beaucoup de monde, il y a les mêmes objets, toujours enchâssés dans du verre, mais à l’envers.

Ça s’arrête là. Au réveil, je me mets en devoir d’écrire ce rêve, car c’est ma façon de les analyser.

Pour décrire ces objets, il faut que je trouve un mot, ce sont des alambics en cuivre. Et tout d’un coup, je me dis : voilà de quoi me parle ce rêve.
La veille, j’avais reçu pour la première fois un monsieur d’une cinquantaine d’années –appelons-le Christophe Delorme- qui venait me consulter pour son alcoolisme. Ce monsieur me revenait en rêve sous cette forme mystérieuse, cette forme que je n’ai pas reconnu tout de suite dans mon rêve. Le mot que j’ai trouvé a permis de percer le mystère. Pas seulement trouver le mot qui désigne l’objet, mais quelle est la chaîne de pensée à quoi ce mot est rattaché et à quelle personne ça me fait penser, à quelle personne je suis en relation. Ces alambics sont une relation à un autre, un autre bien spécifique qui vient me demander de l’aide.

Qu’est-ce qui légitime le fait d’exercer cette fonction  d’analyste ? Lacan l’a indiqué ainsi, l’analyste ne s’autorise que de lui-même. Il a inventé ensuite la passe, mot qui désigne le fait de passer du divan de l’analysant au fauteuil de l’analyste. Cette passe est représentée dans mon rêve par le fait que la cloison tombe entre le bureau de l’analyste et la salle d’attente de l’analysant, j’étais analysant, et je deviens comme mon analyste puisqu’on devient copains dans mon rêve et on reçoit des gens à manger et à boire.

La question qui se pose à moi à travers ce rêve et à travers ce monsieur qui vient me trouver est : est-il légitime que je le reçoive, en quoi est-ce qu’il peut me faire confiance ? en quoi je peux lui apporter de l’aide ?

Ce qui légitime l’analyste, c’est que l’analysant lui confère cette fonction d’analyste. C’est le fait qu’il y ait quelque chose qui passe de l’un à l’autre, qu’on peut appeler aussi le transfert pour reprendre le mot de Freud.

Ce rêve se présente comme quelque chose de mystérieux, surtout avec ces objets. On comprend un peu mieux en cherchant les mots avec lesquels il est possible d’en parler. Donc ça fait un trou. Le rêve s’est présenté comme une surface, une surface insaisissable, car pour se saisir d’une surface il faut avoir un trou.

Faire un trou est une façon de se saisir des choses. Se saisir des choses c’est aussi comprendre.

C’est ce dont il s’agit dans le fait de faire un trou dans une surface. Il s‘agit d’interpréter, interpréter un rêve, interpréter un acte manqué, un symptôme, un lapsus.

Ça se fait en écrivant, en parlant. L’essentiel est d’avoir un partenaire à qui on veut transmettre quelque chose de saisissable. Transmettre c’est aussi avouer. Dans mon rêve, le problème est de se mettre à table, on me demande d’aider à mettre la table. On va aussi chez l’analyste pour se mettre à table, c'est-à-dire parler, avouer l’inavouable éventuellement.

La question que ce rêve me pose est la question que m’avait posée ce monsieur en venant me trouver : suis-je légitime à le recevoir et vais-je arriver à quelque chose avec lui, à quoi est-ce que ça va servir ?

Je n’en sais trop rien et à la fois dans mon rêve j’en sais quelque chose puisque je ne suis pas complètement désorienté. Je suis désorienté parce que je n’ai pas le nom pour nommer cet objet en cuivre, le nom viendra à l’analyse, au réveil, mais je ne suis pas inquiet parce que j’avais déjà vu ces objets de l’extérieur. Et ces objets étaient à l’envers à l’intérieur. C'est-à-dire que ce monsieur qui vient m’apporter son problème de l’extérieur, le fait d’en rêver, je le prends moi-même à l’intérieur, ça devient mon problème. C’est un retournement : ce qui est dehors peut être mis dedans.

Je ne peux parler de ce monsieur qu’en vous parlant de moi. C’est ça le retournement essentiel qui constitue la psychanalyse.

Dans son ouvrage « l’interprétation des rêves » Freud indique quelles sont les méthodes d’interprétation des rêves qui existent avant lui. Il dit qu’il y en a deux, l’interprétation symbolique qui est de prendre un rêve en masse, par ex. le rêve du roi d’Egypte dans la Bible, sept vaches maigres dévorant sept vaches grasses, s’interprète comme sept années de famine, de mauvaises récoltes qui vont dévorer toutes les réserves faites dans les sept années précédentes. Et il y a l’interprétation de déchiffrage qui consiste à prendre chacun des éléments du rêve et de les confronter à une clé des songes. Rêver de mariage veut dire qu’il va y avoir un enterrement, etc.

La méthode de Freud part de ce constat, c’est toujours l’interprète qui sait, ce n’est jamais le rêveur. Le rêveur vient apporter son rêve à quelqu’un qui lui dit : voilà, ton rêve veut dire ceci. La méthode de Freud est justement de demander au rêveur ce qu’il sait. Le pas de découverte de l’analyse, c’est franchir ce pas de savoir. Moi je ne sais pas, mais c’est vous le rêveur qui savez.

Dans l’ordre historique de la découverte de la psychanalyse le rêve s’interprète comme un symptôme. Ça se présente comme une surface opaque, insaisissable dans laquelle il s’agit de faire un trou, le trou du sens.

Le trou du sens, pose un problème, car beaucoup de mots permettent de dire le sens, la signification.

On a tendance à dire aujourd’hui que la signification serait plutôt de l’ordre de cette surface une fois qu’un trou y a été percé, c'est-à-dire quelque chose d’une surface saisissable, une représentation, et ce quelque chose peut être nommé. Ceci n’est possible que si y a été fait le trou du sens. Le sens qui ne peut se rattacher ni à une image ni à un mot mais au fait de faire le trou, à l’acte même. L’acte d’écrire, l’acte de parler, c’est ce moment qui est de l’ordre du temps.

Un moment qui est déjà dans le rêve. C’est une façon de dire le temps tel que le rêve disait le temps : avant j’étais à l’extérieur et j’avais vu ces objets, ce qui fait que j’étais repéré dans l’espace et maintenant je les vois aussi à l’intérieur, ce qui me permet de me repérer doublement entre le dedans et le dehors, entre l’avant et l’après.

Ce mot va me permettre de nommer cette tournure (Wendung, 3ème temps de la pulsion chez Freud, se traduit généralement la traduction de « retournement » ; il peut fort bien se traduire par « tournure », comme on dit une trounure de style ; ici, je veux dire passer du style indirect –parler de l’autre – au style direct –parler de soi) se traduit , ce moment de passage entre le dedans et le dehors, entre le pas sens et le sens, le pas savoir et le savoir. C’est moi qui fait le travail, ce n’est pas quelqu’un qui vient me dire : votre rêve signifie ceci, c’est moi qui le dit.

Pour parler légitimement de l’autre, je ne peux le faire qu’en parlant de moi. C’est pourquoi je vous raconte un de mes rêves au lieu de vous raconter un rêve de ce monsieur. Je lui laisse ses rêves, à lui d’en trouver l’interprétation en m’en parlant.

Comment s’est déroulée notre relation par la suite ?
Pendant des semaines, au début de son travail avec moi, ce monsieur se plaint du monde entier qui ne le comprend pas, ne l’écoute pas, de la société qui le rejette, du fait qu’il est au chômage parce qu’il a dit ses 4 vérités à son patron, et qu’il fait de même avec son père, son frère, etc. Sa vie est un enfer, sa femme est partie, ses gosses ne veulent plus le voir...

A un moment, dans une séance on sonne ; je lui dis : « excusez-moi, je vais ouvrir ». Il me dit : « vous excuser ? si je veux ! ». Un peu ennuyé, quand même, par cette réplique un peu cinglante, je vais ouvrir et lorsque je reviens, je lui dis : « vous êtes un peu frondeur, vous ! » Il répond : « je dis ce que je veux… qu'est-ce que vous avez à me traiter de frondeur ? d’ailleurs pourquoi vous utilisez de tels mots, qui datent du 17ème siècle ? … ».
Après cette séance-là il part dans une colère effroyable.

La fois suivante, peu avant sa séance, je me suis interrogé de savoir s’il allait venir. Je me rappelle l’état de colère dans lequel il était parti.. et des tendances suicidaires dont il avait fait état dans les séances précédentes. Je suis donc inquiet. Pourtant il vient, se met à me raconter qu’il a été au fin fond du désespoir, qu’il est au bout du rouleau, qu’il pense à se suicider.
Il me dit : cette fois, il faut que vous me disiez quelque chose sur moi-même, il faut que j’ai quelque chose à quoi me raccrocher. Je reste dans le silence parce que je suis perplexe. Que lui dire sur lui-même ?  qu’attend-il ? il se connaît sûrement plus que je ne le connais, même s’il ne sait pas qu’il sait. Et puis pendant que je déroule ces pensées en moi, il m’interpelle : « au fait, c’est vrai, vous m’aviez déjà dit quelque chose sur moi…vous m’avez dit que j’étais rebelle ». « Ah non, je vous ai dit que vous étiez frondeur ». « Non non non, c’était « rebelle »»... « ah, dans mon souvenir, c’étati « frondeur » etc….la discussion se poursuit un moment autour de ces mots :« Rebelle-frondeur ».

Il me dit : « finalement qu’est ce qui pourrait nous assurer de ce qui a vraiment été dit ? » « Rien. Dans mon souvenir c’est comme ça, dans le votre c’est comme ça ». Rien ne peut nous assurer de l’objectivité, de la réalité de ce qui a été dit. Rien est la seule chose à laquelle nous tous, nous pouvons nous raccrocher quant à trouver un garant de la vérité.

Il m’avait parlé de nombreuses fois de discussions qu’il avait eu avec son père et où on l’accusait d’être un rebelle, un provocateur. Il m’a souvent dit : j’aimerais pouvoir enregistrer les conversations avec mon père de façon à les étudier calmement pour voir à quel moment j’ai été précisément provocateur ou rebelle, car je n’ai pas le sentiment d’être un provocateur ou un rebelle.

Rien ne vient décider du qualificatif avec lequel il pourrait se définir. Ce rien, c’est un trou dans la surface avec laquelle il ne cessait de se définir et de faire en sorte que les autres le définissent en miroir, ce qu’il avait joué avec moi dans ce qui s’appelle le transfert. Il avait fait en sorte que je lui accorde ce qualificatif que tout le monde lui avait toujours accordé, sauf que j’avais trouvé un mot légèrement différent – sans en avoir décidé le moins du monde ; ce mot m’était venu sans réfléchir.
Frondeur : J’avais cherché une modalité atténuante. J’avais essayé d’atténuer mon qualificatif par quelque chose qu’on va nommer la modalité. Plutôt que de donner une proposition brute : vous êtes ceci, je donne une proposition légèrement atténuée qui est une nuance. Avec la nuance et la modalité, on est au-delà d’un propos qui se présente comme une surface compacte mais avec la nuance, avec la modalité, on fabrique du trou qui permet de s’en saisir. En plus, entre les deux nuances du qualificatif frondeur et rebelle se trouve le trou, ce qui fait qu’il n’y a pas de garantie de la vérité. Si l’autre doit garantir la vérité de mon propos quel autre va garantir le propos de l’autre ? Si c’est l’autre qui doit apporter une garantie à mon propos, pourquoi le croirais-je lui plutôt qu’un autre ? Qui est l’autre de cet autre qui va me garantir le propos de l’autre ? L’autre c’est toujours l’autre.

Ce qui nous intéresse c’est ce que je dis maintenant, et l’instant d’après je suis déjà en train de dire autre chose. Le temps passe, le temps c’est la vie, qui nous amène vers ce trou définitif qui s’appelle la mort et qui fait que justement nous pouvons parler. Nous parlons et nous savons que nous allons mourir ; l’un est le corollaire de l’autre. C’est cette capacité d’anticiper ce qui va se passer qui fait que nous parlons, ce qui met en place le passé, l’avenir, le présent, et le trou de la mort qui organise depuis le futur le trou d’une origine éventuelle. Que sait-on des circonstances dans lesquelles nous sommes nés ? Maman va dire cela, papa va dire autre chose et moi je me souviens de mon enfance de telle ou telle façon.

Tout ça avait permis à un certain nombre de choses de sortir, et encore une fois de la colère. Toute cette colère qu’il pouvait avoir contre son père, son frère, la société, ça sortait contre moi, ça se mettait en scène dans le transfert. La colère, comme beaucoup d’autres sentiments, comme tout sentiment, c’est ce qui fait trou, c’est ce qui permet de mettre en valeur une représentation, ça n’a pas de sens quand aucun sentiment ne l’accompagne.

La libido, c’est ce qui met en valeur quelque chose pour quelqu’un. Eprouver de l’amour pour quelqu’un, éprouver de la haine pour quelqu’un. L’amour ou la haine va effectuer dans l’ensemble des gens que nous rencontrons des découpes qui vont faire que celui-ci va entrer dans le trou de la libido et pas celui-là.

Quand j’en parle en terme d’amour, de haine, de colère ou de honte, je donne une représentation. Ce n’est plus du trou. J’ai fait un léger décalage. Ce n’est plus l’éprouvé du sentiment, c’est une représentation de mots noués avec cet éprouvé qui reste un trou.

Je reviens à Christophe Delorme qui, après cette discussion autour de la nuance « rebelle-frondeur », a fait un grand silence. Puis reprenant sa colère à l’égard du monde entier, il a eu cette phrase : « de toutes façons ce que je vous raconte, vous vous en foutez ». J’ai répondu : « je ne m’en fous pas, juste avant que vous veniez j’étais en train de regarder l’annuaire car vous étiez parti la dernière fois dans un tel état que j’étais inquiet pour vous et j’avais envie de vous appeler ». Il a fait un long silence et a dit ensuite : « j’ai honte ».
La colère, et puis la honte. Il s’est mis à pleurer en disant : « j’ai honte de ce que j’ai fait à mes enfants ». Il n’en a pas dit plus, sauf le fait d’être alcoolique, de ne pas avoir entendu ses enfants, de ne pas les avoir assez soutenus.

Je lui pose la question : « vous souvient-il d’autres moments dans votre vie où vous avez aussi éprouvé de la honte ? » Il me dit : « oui, j’étais instructeur maritime, j’avais 18 ans, j’étais passionné de la mer, je fais du bateau, je me débrouille très bien. Je m’occupais d’un stage et j’étais en train de leur apprendre à lire les cartes marines. Un stagiaire m’a posé la question : il y a des chiffres écrits dans la mer, c’est la profondeur ; à un moment le chiffre est souligné, qu’est-ce que ça veut dire ? Et là j’ai éprouvé la honte de ma vie, je ne m’en souvenais pas. Un trou. Un trou dans la carte. Je ne comprenais pas pourquoi je ne m’en souvenais pas ». Et moi je me demandais pourquoi une telle honte ? Il n’avait qu’à dire  « je ne m’en souviens pas, je vous répondrai la prochaine fois ». Pour lui, c’était la honte de sa vie. « Pourtant je savais très bien que quand le chiffre est souligné ça signifie qu’il y a un banc de sable ou un rocher qui affleure et le chiffre signifie alors de combien ça dépasse de la mer à l’époque des basses eaux ».

De combien ça dépasse de la mer... Vous entendez le « e » muet que j’ajoute ? Quand on est petit, de la mère, on s’attend à que quelque chose dépasse de sa surface corporelle, surtout quand on est un petit garçon et qu’on ne comprend pas pourquoi ça n’est pas pareil chez maman que chez tout le monde puisque chez tout le monde « il y a » c'est-à-dire, il est censé y avoir ce phallus, qui fait modèle. C’est l’insu le plus phénoménal qui soit pour l’espèce humaine.

J’ai fait un autre rêve :
J’arrive en vélo dans un paysage de collines où il y a beaucoup de gens réunis. C’est une secte qui est réunie. Je vais directement poser mon vélo pour discuter avec le chef de la secte qui est un monsieur au crâne rasé qui porte une grande robe. Celui-ci, sans que je lui ai demandé quoi que ce soit me dit que si je cherche de la drogue il n’y en a pas, que le seul qui en avait est le dealer du coin qui vient de se tirer en vélo avec sa cargaison de drogues.

Au réveil, je m’interroge. Je me rappelle que ce monsieur (Christophe Delorme) m’avait dit que, du temps où il était marié, dans les absences de sa femme, il aimait beaucoup se déguiser en femme, pour lui tout seul. Il avait pris des photos de lui en femme et il trouvait le résultat très réussi.

C’est évidemment mon chef de secte que je vois là, pour deux raisons : parce que je me suis souvenu de cette histoire-là, qu’il se déguisait en femme et donc mettait une robe, et que cette façon de mettre une robe permet de s’assurer que sous une robe il y en a un, de phallus. L’évocation de chef de secte part de là. S’assurer que la femme n’est pas castrée en se déguisant en femme.

C’était une autre façon de mettre dedans ce qui est dehors dans la mesure où ça fait raisonner quelque chose de l’amour qui était en train de nous lier, lui et moi. Au-delà de la colère, au-delà de la honte, il commençait à y avoir de l’amour.
On est devenu de plus en plus de bons copains. Quand il arrive à sa séance il est détendu, content d’être là. Les périodes de dépressions il n’y en a pratiquement plus. Par contre, l’alcool devient assez sérieux et récemment il a décidé d’aller faire une cure. Cela pouvait l’isoler des tentations.

Il m’avait expliqué qu’étant petit il n’était pas entendu par son père et sa famille. Il était très doué, premier de sa classe, ça l’excluait de tous ses copains. Il ne se sentait pas comme les autres. Il a eu une carrière professionnelle extrêmement brillante. Il me disait à quel point ça le faisait souffrir quand on lui disait : c’est incroyable comme vous présentez bien les choses, c’est incroyable comme vous faites comprendre... Comme vous êtes intelligent. »
Il pensait chaque fois : « si les gens savaient à quel point ça me fait chier qu’on me dise ça ». Il est arrivé à me dire qu’à chaque fois qu’il entendait ça il se disait intérieurement, à la limite de l’inconscience : « puisque c’est comme ça je vais me mettre à faire le con ». Sans doute fallait-il qu’il en passe par là pour faire son trou. Faire son trou, ce n’est pas toujours réussir, quand tout le monde vous dit que vous réussissez et que c’est justement ça qui vous exclut de la surface, il faut faire son trou autrement, y compris boire comme un trou.

Quand Frege parle du mot « tournure » (Wendung), il parle du style indirect. Le style indirect c’est une tournure, un effet de style. Le style c’est l’homme, une formule de Bossuet que Lacan a repris. Le retournement qui est l’autre mot français par lequel on peut traduire laWendung, c’est ce qui a été employé par Freud lorsqu’il parle des destins des pulsions.

Dans un texte de la métapsychologie de 1915, « Pulsions et destin des pulsions », Freud parle de 4 destins possibles de la pulsion.

* l’inversion dans le contraire (l’inversion actif/passif : Pierre bat Paul, Paul est battu par Pierre)
* le retournement sur la personne propre, souvent corollaire de l’actif/passif
* le refoulement
* la sublimation.

Il y a un 5ème destin que Freud décrit comme une variante du premier, l’inversion dans le contraire, c’est l’inversion du contenu.
C’est l’inversion de l’amour en haine, ce qui se passe très généralement quand on se sépare. Quand on cesse d’aimer, l’amour en général est remplacé par la haine.

La topologie est une histoire d’orientation. C’est pourquoi ça peut aider à s’orienter ou s’en sortir, puisque c’était ça la question posée dans mon texte. Pour s’en sortir comme dans les labyrinthes, il faut arriver à s’orienter pour trouver la sortie, pour trouver le trou. Faire son trou.
Pour aborder les choses d’une façon plus philosophico-mathématique je vais reprendre un des écrits de Platon, le Ménon, qui est un dialogue où Socrate veut prouver à Ménon qu’il n’y a pas de souvenir, pas de savoir, il n’y a que des réminiscences. Il s’agit de convaincre Ménon de la métempsycose c'est-à-dire de la réincarnation.

Tout homme sait et l’enseignement ne consiste pas à apporter un savoir que l’autre ne saurait pas mais consiste à accoucher l’autre du savoir qu’il ne sait pas qu’il sait. Il s’agirait de libérer l’esclave (puisque c’est l’esclave qui va être pris en exemple) de le libérer de sa passion du non savoir.

Comment s’y prend-il ? Socrate prend un esclave qui serait censé ne pas savoir et va montrer à Ménon comment cet esclave sait malgré tout à condition de l’accoucher correctement.

Il lui pose une question de mathématique : voici un carré de côté a. Sa surface sera a2. Dis-moi, dit-il à l’esclave, quel est le carré qui aura le double de la surface de ce carré ci ?
L’esclave ne sait pas mais Socrate trace des figures dans le sol et lui pose des questions habiles : est-ce celui-ci, dit-il en ajoutant un carré identique à côté du premier (jaune pale) ? non, la surface est double, mais ce n’est pas un carré. Est-ce celui-là, dit-il en dessinant le carré dont le côté à la longueur double du précédent (2a) (jaune plus bleu) ? non, c’est un carré, mais la surface n’est pas double, elle est quadruple.

Socrate commence toujours ses questions à l’esclave par : dis-moi...
A un moment il lui dit : si tu ne veux pas dire, montre moi.
Montre-moi quel est le carré qui aura le double de la surface du carré initial. Socrate trace la diagonale de chacun des petits carrés qui construisent le grand carré quadruple.

Si tu ne peux pas le dire, montre moi quelle est la longueur du côté du carré qui aura le double de la surface, et l’esclave montre évidemment la diagonale du carré initial, dont on lit bien, qu’elle est le côté d’un carré inscrit en losange, qui a le double de la surface du carré de côté a. .









C’est la façon dont on peut parler de la psychanalyse et des rapports humains en termes mathématiques. Cette longueur ou cette surface, on ne peut pas la dire, mais on peut la montrer. C’est un rêve, un symptôme, un lapsus ou un acte manqué. Ce n’est pas une parole, c’est une écriture, et il a fallu attendre le 16ème pour que Jacques Pelletier du Mans invente le signe sous lequel nous écrivons aujourd’hui cette longueur : Ö

C’est comme un écrit, une image si c’est un rêve. Un rêve, c’est le plus souvent comme sur un écran de cinéma, ça se présente comme une surface à deux dimensions et au réveil on ne sait pas trop ce que ça veut dire. On peut éventuellement raconter et avec l’expérience de l’analyse on peut laisser venir les associations d’idées qui vont faire trou dans cette surface pour faire en sorte qu’on s’en saisisse. Mais au départ, le rêve ne fait que vous montrer. C’est comme si vous étiez comme rêveur dans la même position que Socrate avec l’esclave, le rêveur montre à lui-même quelque chose que lui-même ne peut pas dire. Le rêve est là pour le faire accoucher, s’il veut bien en parler à quelqu’un, le lendemain évidemment. C’est ça qui va être l’accouchement, autrement le rêve va rester lettre morte, il ne servira à rien. On ne se souvient plus de ses rêves, ou alors on s’en souvient mais c’est sans intérêt, parce qu’on n’a pas fait trou.

Il a fallu des siècles pour qu’on arrive à faire trou dans ce problème mathématique. Pendant des siècles on s’est servi de cette diagonale parce qu’on pouvait la dessiner, la montrer. Si on pouvait la montrer on pouvait la lire ; mais on ne pouvait pas l’écrire, et il a fallu attendre les travaux de Al Karesmi, mathématicien arabe qui a été le premier à appeler cela la racine de.... On cherchait la racine comme on cherchait la source, comme tout le monde cherche l’origine, ce trou de l’origine qu’on ne sait pas dire parce qu’on ne sait pas complètement d’où on vient mais qu’on peut dire quand on se met à en parler.

Ça a permis de le calculer. Mais on s’aperçoit que racine de 2 présente une suite infinie de chiffres dont on ne peut pas prévoir lequel est le suivant : c’est un irrationnel.

Vous avez d’autres nombres irrationnels : p = 3,1416...
Il y en a de plus simples : 2/3 0,666666666666, c’est aussi incommensurable.

Si on veut traiter des phénomènes des formations de l’inconscient, on peut les traiter en termes mathématiques en utilisant ce que les mathématiques nous offrent pour parler de l’irrationnel.

L’irrationnel c’est : j’ai fait un rêve, je n’y comprends rien..., j’ai fait un lapsus, ce n’est pas ce que je voulais dire..., j’ai un symptôme... ça me souffrir, je voudrais que ça cesse… ça écrit, en effet, ça ne cesse pas de s’écrire, comme tentative d’écrire ce réel qui ne cesse pas de ne pas s ‘écrire.

La médecine est là pour nous donner des tas de raisons expliquant le symptôme. Quelquefois elle a raison, mais bien souvent elle a tort et il y a des foules de symptômes qui ne sont que la façon pour le sujet d’écrire par le biais de son corps un p ou un Ö2, un irrationnel, une surface. C’est dans la surface corporelle que ça va s’inscrire, comme douleur, quelquefois comme lésion, quelque chose qui fait trou dans la surface corporelle. Ça peut fabriquer de vraies maladies repérables qu’il faut soigner. C’est une tentative pour le sujet de faire trou dans un problème qui se présente à lui comme une surface dans laquelle il n’arrive pas à faire trou. Il n’arrive pas à faire trou parce qu’il n’arrive pas à en parler et n’arrivant pas à en parler, c’est comme l’esclave avec Socrate, il montre. Il va montrer au médecin où il a mal.

L’analyste, à la différence du médecin qui lit le symptôme, écoute ce que la personne peut en dire.

Exemple :

Je reçois un matin la maman d’un enfant que je vois depuis 3 ans. Cet enfant me raconte « des salades », c'est-à-dire  des histoires qu’il invente, dont je ne sais pas trop s’il croit qu’elles sont réelles ou si il sait que ce sont des histoires, mais il se présente toujours comme les ayant vécues personnellement. Ce sont des histoires extraordinaires, fantastiques... Les choses se passent comme dans un rêve, et  il en est le personnage principal.

Puis il y a eu une période où visiblement il cherche quelque chose à me dire et il ne trouve pas. Les séances durent assez peu, 10 mn ; il dit « c’est tout » et il s’en va.
Cela fait 3 ans que j’invite sa mère à venir me parler. Elle vient de temps en temps, me dit deux trois choses de la vie quotidienne, de l’école, mais elle ne tient pas à s’attarder et ne tient pas à venir régulièrement me parler. Son fils fait ça pour elle.
Un matin elle vient à sa séance et j’ai la surprise de l’entendre dire : lorsque je suis sortie de ma dernière séance avec vous, j’ai été prise d’un terrible mal de gorge.

La date de cette séance renvoie à la date où j’ai moi-même commencé à avoir mal à la gorge, moi  aussi. Quelque chose que j’avais commencé à ressentir comme une torsion violente dans ma gorge (quintes de toux, et surtout le soir au coucher, en lien avec des problèmes avec mon amie).

Il y a toujours plusieurs causes nouées ensemble. Je me suis demandé s’il n’y avait pas aussi quelque chose dans mon transfert à cette dame, quelque chose qui me restait en travers de la gorge, en tout cas quelque chose qui lui est resté en travers de la gorge et qui m’a été transféré à travers mes propres problèmes. Elle me dit la chose suivante : « j’ai bien compris que mon mal à la gorge venait de ce que j’avais quelque chose à vous dire que je n’ai pas dit depuis 3 ans, que je sais que je ne devrais pas dire et que je m’étais interdit de dire à quiconque, mais je vais vous le dire parce que je me rends compte que ça n’est pas possible de continuer comme ça.
« Je me suis rappelée tout le temps des 3 ans la question que vous m’avez posée quand je suis venue vous trouver : que représente cette naissance pour vous ? Je savais bien ce qu’elle représentait mais je ne vous ai pas répondu. A l’époque, j’avais un amant et je ne savais pas de qui était cet enfant. En le regardant bien pendant des jours après la naissance, j’ai réussi à trouver dans son visage des expressions de ma belle-mère, c’est donc qu’il était vraisemblablement de mon mari. Ensuite j’ai regardé des photos de mon mari petit, c’est plutôt lui qui est le père. »

Mais il y a un non dit en rapport avec de l’amour, en rapport avec de la libido, en rapport avec de l’irrationnel parce qu’elle m’a parlé par la suite la passion avec cet amant, pour laquelle elle a pensé tout plaquer à un moment, son mari, ses autres enfants, et qu’elle n’a pas eu le courage de faire. L’irrationnel de la passion pourrait se traduire e, termes socratiques de la façon suivante : j’ai un carré de côté a, c’est mon mari ; comment puis-je avoir le double de jouissance ? Cette passion à un moment s’est traduite dans sa tête par « je veux un enfant de lui » et au moment où elle s’est séparée de cet amant, l’envie d’un enfant de ce monsieur s’est transformée en une envie d’enfant tout court. Et comme par hasard à ce moment là, elle n’a plus supporté la pilule, elle l’oubliait.... et elle s’est retrouvée enceinte.

Ce petit garçon est arrivé, qui ne me raconte que des mensonges. Cet enfant Ö2, dont deux hommes ont été à la racine… ou plutôt, le dédoublement de la surface de la jouissance de sa mère.

Voilà ce qu’elle m’avait transmis par le biais d’un symptôme, c'est-à-dire d’un irrationnel qui est passé d’elle à moi.

Lacan a fait un dessin représentant le graphe du désir et c’est entre cette bifurcation qu’il inscrit la lettre d du désir et le che voi

Che voi : que veux-tu, que désires-tu, quel est ton désir qui va faire basculer ta vie dans cette orientation-ci ou cette orientation-là ? ce qui va faire coupure, va faire trou dans ta vie, va faire que ta vie va prendre sens ou au contraire va rester dans l’absurde.

Une bifurcation, une coupure entre deux possibilités d’aller là ou de ne pas aller là.

Qu’est ce qui va m’assurer de la vérité de mon désir, si ce n’est ce que j’en dis ? dans la mesure où j’assume ce que j’en dis, dans la mesure où j’assume ou  non mes choix, conscients ou inconscients. Surtout inconscients comme Christophe Delorme quand il vient se plaindre de ce qu’il boit et qu’il vient me voir pour arrêter de boire et qu’au bout d’un an de séances il en vient à se rendre compte qu’au fond c’est un choix de boire, c’est le choix de son désir pour pouvoir faire son trou. Ce n’est pas un symptôme aussi destructeur, il est destructeur par un côté, mais par l’autre côté c’est ce qui lui permet de tenir et de pouvoir dire : mon désir il est là, ailleurs que ce que tout le monde a voulu de moi et ailleurs de ce pourquoi tout le monde m’a félicité.

Le symptôme montre à l’autre ce que je ne peux pas lui dire.
C’est très important de respecter les symptômes, que ce soient les siens ou ceux des autres. Vouloir soigner à tout prix, sauver à tout prix, ça a un prix. Ça a une autre cote de valeurs.

Il n’y a pas de garant de la vérité. Dans les méditations métaphysiques, Descartes remet en question tout le savoir : si tous les maîtres qui m’ont appris des choses m’avaient raconté des bêtises ? Il fait du trou, il négative, il dit que ce n’est pas ça. Tout le savoir qu’on m’a appris, ce n’est pas ça. Il me reste la perception, ce que je vois, ce que j’entends, ce que je touche. Ça c’est du concret, du solide. Et pourtant en rêve j’ai tout à fait l’impression de réalité, je suis certain que ce que je vis est absolument réel. Alors qu’est-ce qui m’assure qu’en ce moment je ne suis pas en train de rêver, que ce que je prend pour la réalité n’est que l’illusion d’un rêve ? Personne ne me le garantit. Alors que me reste-t-il ? Si ce n’est le fait que j’ai fait ce travail de négativation du savoir, de négativation de la perception, de négativation de tout ce qui me vient de l’extérieur. Il me reste le fait que j’ai négativé tout ça. Le fait que j’ai détruit, le fait que j’ai fait du trou.

C’est moi qui ait fait ce trou là, c’est parce que je pense, je pense donc je suis. Mais il lui vient encore un doute : et si un malin génie s’était amusé à me faire croire que j’avais opéré moi-même cette opération de négativation du savoir et de négativation de la perception et se jouait de moi en me faisant croire à la vérité de cette pensée et donc à la vérité de mon être ? Rien ne pourrait me garantir que je ne suis pas le jouet de ce malin génie. Donc je suis obligé de faire l’hypothèse de Dieu, c'est-à-dire, je fais l’hypothèse qu’il n’y a pas de malin génie, qu’il n’y a pas un Dieu trompeur, Dieu est bon et ne cherche pas à me tromper. Avec Lacan on n’est pas très loin de ça, parce qu’on dit simplement : on est obligé de faire l’hypothèse que la vérité de ce que dis est la vérité de ce que je dis. Et rien ne va me garantir la vérité de ce que je dis. C’est donc un trou, il y a une place vide, la place du garant de la vérité que Descartes remplit par Dieu comme beaucoup d’autres, Lacan, par rien.

Il n’y a pas de sujet sans autre et la libido c’est ce qui circule entre le sujet et l’autre. C’est pourquoi l’amour est toujours réciproque, l’amour, ou la haine, ou n’importe quel sentiment ; c’est toujours réciproque en tant que c’est le trou qui fait le lien entre ces deux surfaces de deux personnes qui s’intitulent chacune d’elles moi mais qui en fait ne peut pas se définir comme moi si il n’y a pas ce trou du rapport à l’autre.

On a cet autre mathème qui est la bande de Moebius.

Il n’y a pas de sujet sans l’autre, il n’y a pas d’autre sans sujet.




Ce pourquoi la psychanalyse c’est aussi franchir ce pas qui consiste de ne jamais faire de diagnostic. La psychanalyse n’est pas mettre une étiquette sur l’autre, c’est s’interroger sur soi dans son rapport à l’autre. Ce pourquoi je vous raconte mes rêves et non pas ceux de l’autre.
Ce pourquoi Freud en était arrivé à dire que, pour interpréter les rêves de manière scientifique, il fallait qu’il s’intéresse à ses propres rêves.

Freud raconte aussi des rêves des personnes qui viennent le voir, d’amis, etc... il lui faut bien trouver des appuis dans un ailleurs pour être sûr que ce qu’il raconte du processus du rêve, pas de son contenu, vaut aussi pour les autres. Mais il a inventé la psychanalyse en analysant ses propres rêves. Il l’a appliqué à l’autre, mais en indiquant toujours quelles étaient les limites, puisque la méthode d’interprétation des rêves, selon lui, c’est de demander au rêveur ce qu’il en sait, ce qu’il veut bien en savoir.

La passion de ne pas savoir revient régulièrement et fait dire : je ne veux rien en savoir, ce rêve-là ne m’intéresse pas.

Freud lui-même le met en scène à propos d’un rêve qui s’appelle le rêve de l’oncle à la barbe jaune : Freud rêve qu’il voit son ami R, le visage entouré d’une barbe jaune (comme son oncle), et son oncle. Il éprouve une grande tendresse pour cet oncle et pour son ami R puisque c’est la même personne dans le rêve. C’est un rêve tout simple qui s’arrête là. Au réveil lui qui et en train d’indiquer que tous les rêves ont un sens et qui est en train d’essayer de le prouver au monde, son premier réflexe est de dire : « ce rêve-là est absurde ». Il dirait à un de ses patients : vous ne voulez pas analyser ce rêve parce qu’il vous dérange trop.

Freud se dit :ce rêve me dérange trop. Pourquoi ? Il laisse libre cours à ses associations. Il a rencontré l’ami R la veille. Il revenait du ministère où il avait posé la question de sa nomination comme professor extraordinarius. Il disait que s’il n’était pas nommé c’était pour des motifs confessionnels (l’ami R est juif, comme Freud). On lui aurait répondu qu’on ne pouvait pas dire des choses comme ça.

Freud justement a été proposé par des amis pour être nommé professor extraordinarius.

Le père de Freud disait de l’oncle que c’est une tête faible parce qu’il avait dilapidé la fortune de la famille en la jouant à la bourse, car il n’avait pas su faire son trou dans la société… Cet oncle était méprisable. Freud comprend le sens de son rêve en mettant en rapport ces deux éléments : l’ami R et l’oncle. Il se rend compte de la grande tendresse qu’il éprouvait dans le rêve pour cet ami R qui est son oncle, une tendresse excessive, qui dépasse de la surface. Il se dit : ce n’est pas possible, je n’aime pas mon ami R avec une telle tendresse, et quant à mon oncle je le détesterais plutôt. Il faut bien que j’en vienne à m’avouer que je hais cet ami R, c’est cela que la grande tendresse dissimule. Le mépris qui n’est pas vraiment de la haine pour cet oncle et l’estime qu’il a pour son ami R se trouvent confondus dans une tendresse excessive qui est là pour masquer ce qui, derrière l’estime, est une haine pour l’ami R. Et pourquoi haïr cet ami R si ce n’est parce que, s’il est une tête faible comme l’oncle, cela explique qu’il n’est pas nommé professeur extraordinarius.

Alors que, s’il est juif, c’est autre chose. Parce que Freud n’est pas une tête faible, donc ce rêve montre à Freud que si on n’est pas nommé parce qu’on est une tête faible, on garde une chance d’être nommé, bien qu’on soit juif.
Il est difficile de s’avouer qu’on peut avoir des sentiments haineux à l’égard d’un collègue qu’on estime. Ce pourquoi est venue cette force de la résistance le matin qui a amené Freud à dire : c’est absurde.

Dans les méthodes d’analyse du rêve dont Freud parlait, il y a l’analyse symbolique qui s’attache à analyser le rêve globalement et l’analyse chiffrée, qui consiste à prendre chaque éléments les uns après les autres. Dans l’analyse traditionnelle on fait correspondre à chaque élément un autre élément de la clé des songes, mais dans la méthode de Freud on découpe chaque élément, et on demande au rêveur quelles sont ses associations par rapport à chaque élément.
Le moment fondamental de l’analyse du rêve consiste à le découper, à voir quels en sont chacun des éléments.

Il y a des représentations écrites en termes de surface tournant autour du trou. L’analyse m’a permis de donner une surface à la cote de valeur donc une représentation. J’appelle donc l’éprouvé du sentiment la haine d’un côté, l’amour de l’autre, parce que c’est les deux en même temps.

Une fois que Freud a déroulé toutes les associations de son rêve, autour de la lumière, de l’ombre, de l’université, du professor extraordinarius, il dit : l’analyse du rêve n’est pas terminée, il me reste à analyser ce sentiment de tendresse excessive.

La plupart du temps dans la vie quotidienne on s’arrange pour projeter sur l’autre, attribuer à l’autre le sentiment qu’on ne veut pas s’attribuer soi-même. La haine étant un sentiment qui n’est pas idéologiquement bien porté, il faut aimer, c’est dans la morale de la civilisation.

Exemple :

Un adolescent pour lequel j’essaie de faire trou entre lui et sa mère : Il a un père qu’il ne connaît pas et qui ne s’est jamais occupé de lui.

Il me raconte ses intérêts pour les groupes de musique, son désintérêt pour l’école.

Un jour il me raconte qu’il descendait les Champs Elysées, que le soleil le suivait, et qu’il était très angoissé par cela. Le soleil lui en voulait. Au point qu’il est entré dans un magasin pour se mettre à l’ombre et qu’il a attendu pour en sortir que le soleil se couche.
Au moment où il a dit que le soleil le guettait et qu’il ne pouvait pas sortir, j’ai répondu : oh le salaud !
Je n’ai plus entendu parler du soleil après.

Je me suis dit que je m’étais mis de son côté dans sa lutte contre le soleil. J’étais son ami, son allié. En même temps j’avais mis cette très légère ironie dans le ton comme si je mettais un peu de distance, de nuance dans la façon qu’il avait de s’entretenir avec le soleil.

Ça a suffit. Ça a fait trou. Je n’ai plus entendu parler du soleil.
Vraisemblablement le soleil c’était ce père qui ne s’est pas occupé de lui, qui n’étant nulle part, était du coup partout. Ça se présentait comme une surface dont il ne pouvait pas se servir et le trou que lui essayait de faire dans ce père insaisissable lui revenait de l’extérieur comme un trou que le soleil essayait de lui faire dans la peau. C’est pourquoi il se réfugiait dans un trou en se mettant à l’ombre.

L’analyse provoque une coupure dans la bande de Moebius. L’analyse est toujours une coupure, découper chacun des éléments du rêve pour permettre l’association avec chacun des éléments du rêve. Ça a pour résultat de réattribuer le sentiment.

Cette découpe de cette surface qui était l’image du rêve réattribue à chacun le sentiment qui lui est attribué, c'est-à-dire  qu’on a l’ami R d’un côté et l’estime, et l’oncle de l’autre côté, et l’injure.

La bande de Moebius et ses coupures nous permet de parler de l’irrationnel, permet de nous en donner une écriture, d’en rendre compte.

De quelle façon cela peut s’organiser dans la névrose :

L’histoire du petit Hans : il a la phobie des chevaux.

Hans aime tout le monde jusqu’au jour où il s’aperçoit que le papa pourrait être son rival dans la possession de la maman, c’est le complexe d’Œdipe.

Dans la mesure où c’est le rival, il y a jalousie et on a envie de tuer le rival. C’est incompatible puisque papa, il l’aime bien, là il découvre que dans le rapport à maman il le hait. Un jour qu’il voit tomber un cheval qui tirait un fiacre, ce cheval faire beaucoup de mouvements avec les pattes il lui vient à la pensée : si seulement papa pouvait tomber et se faire mal comme le cheval. C’est par le biais de cette représentation que la haine du père s’exprime. Cette haine vient couper en deux et vient faire en sorte que le père, positivement coté c’est l’amour, et négativement coté c’est la haine du fait de ce rattachement à cette surface qui s’appelle maman.

Le père coté positivement par l’amour et de l’autre coté le cheval connoté négativement par la haine, entraîne la phobie du cheval.

En plus de ce retournement de l’amour en haine il y a un changement de contenu, et un retournement sur la personne propre qui fait que ce n’est pas moi qui vais agresser le père, c’est le cheval qui va m’agresser. Donc j’ai peur du cheval.

Le mécanisme d’à peu près toutes les phobies enfantines (des rats, du noir) se passent toujours pratiquement comme ça. C’est ce que Freud a appelé le refoulement, la « déformation ». On ne reconnaît pas le père, c’est l’autre face de la même surface.

Autre exemple : Dora


Dora a des toux dont on ne connaît pas l’origine, on ne peut pas la guérir. Or, son père présente la même toux, de temps en temps. Et quand cette toux se présente de manière excessive, il dit : il va falloir que j’aille me soigner dans la ville d’eau et Dora, sa fille, sait bien que dans la ville d’eau il va retrouver Mme K sa maîtresse. Du coup, la toux signifie : j’ai le désir d’aller retrouver ma maîtresse.

Pour Dora qui s’identifie à son papa qu’elle aime beaucoup, c’est pareil, être comme papa c’est avoir la même toux et s’intéresser de la même façon à Mme K ; c’est sa façon à elle de dénier le fait que castration il pourrait y avoir.

La féminité de Dora, ce qu’elle cherche en aimant Mme K comme son père, c’est d’en passer par une certaine masculinité pour pouvoir atteindre cette féminité comme objet. Ça se traduit par un symptôme somatique. D’une manière générale on a appelé cela l’hystérie.

Il y a un discours hystérique, c’est celui de tout un chacun quand il a un symptôme somatique. Il y a un discours phobique, le discours de tout un chacun quand il a une peur de quelque chose. Il y a un discours obsessionnel, c’est le discours de tout un chacun quand il se veut meilleur que les autres.
Ça s’appelle la névrose obsessionnelle.

On ne peut pas fabriquer un symptôme. S’il n’y a pas de symptôme on continue à tourner comme d’habitude, d’une manière excessive, un peu comme la tendresse excessive dans le rêve de Freud. Pour dissimuler la haine ou dissimuler l’amour, le sentiment, on va être particulièrement aimant, à l’écoute des autres, au service des autres, gentil, etc. ce que Freud a appelé la formation réactionnelle. Ce n’est pas le symptôme, c’est la personnalité qui se met à fonctionner de manière un peu plus excessive que « la normale ».

Le style indirect :

Je vois une dame pour une agoraphobie. Elle ne peut pas sortir parce qu’elle a peur dès qu’elle est dehors.
Quel est le contenu de sa phobie ? : »J’ai peur de tomber sur le trottoir, d’avoir un vertige, d’être ramassée par les pompiers et d’être amenée à l’hôpital. »
Ça lui est arrivé de sortir, et effectivement elle est tombée et on a appelé les pompiers. Ça a donné raison à sa phobie.

Elle me dit un jour : « mon fils est rentré de l’école en disant : la maîtresse a dit que j’étais condamné à redoubler ma 5ème.
Je suis scandalisée, une maîtresse qui dit des choses pareilles ! Condamné ! Je vais aller la trouver. Condamné : c’est un mot que mon fils n’utiliserait jamais, c’est ce que la maîtresse lui a dit ».
Je dis :
« C’est ce que vous avez entendu de votre fils de ce qu’il a entendu de la maîtresse. C’est un style indirect ».

La séance suivante, elle me dit : « je suis allée voir la maîtresse, et elle m’a dit tout de suite : je suis contente de vous voir parce que votre fils passe dans la classe supérieure, c’est bien ». elle est stupéfaite constater que dans ce discours direct de la maîtresse, il n’y a rien de la condamnation que son fils lui a dit avoir entendu. 

Il était clair que le style indirect avait été pris pour un style direct. Le style c’est l’homme, c’est ce qui fait trou et prendre l’énonciation d’une parole pour un énoncé peut parfois être problématique.

L’énonciation c’est : je parle, le fait que je dise quelque chose.
L’énoncé c’est éventuellement le contenu de ce que je dis qui pourrait être transmis d’une manière universelle.

Le problème est que tout ce qui se transmet d’une manière universelle, tout énoncé, est obligé d’en passer par une énonciation.
Ce qui intéresse les analystes, c’est l’énonciation et pas l’énoncé. Les énoncés correspondent au savoir et l’énonciation à la vérité. Dans le savoir je peux vouloir dire quelque chose, le lapsus me rattrape et je dis autre chose qui révèle une vérité.

D’un côté il y a une phobie de sortir et de l’autre il y a cette tendance à entendre que le genre humain dans son entièreté veut du mal à son fils alors qu’elle ne lui voudrait que du bien.

Elle a retrouvé un souvenir : quand ses parents se sont séparés, sa mère l’a confiée quelque temps à un couple d’amis qui habitait une caserne de pompiers.
Autre souvenir : « je ne sais pas pourquoi j’ai peur des pompiers, je les admire beaucoup, quand j’étais dans cette maison des pompiers, je les regardais s’entraîner et j’avais particulièrement peur quand il fallait qu’ils montent sur une poutre étroite à 4 ou 5 m de haut et marchent dessus. J’avais peur qu’ils tombent. »

Tout cela vient représenter quelque chose de l’ordre de cet amour déçu de la part de son père, de sa mère.

Pour son fils, elle est partagée entre l’amour et la haine, consciente qu’elle devrait se séparer de lui, mais elle ne le peut pas parce qu’elle l’aime trop. Le symptôme représente le compromis entre toutes ces choses : je ne bouge plus, je reste chez moi.

Il y a également la personnalité qui se trouve contrainte, parce qu’elle ne peut pas fabriquer de symptôme, parce qu’elle ne peut pas fabriquer de phobie, ni de symptôme somatique. Elle va fonctionner d’une manière tout à fait folle, ce que les gens appellent d’une manière générale la psychose. C'est-à-dire, impossibilité de maquiller, de dissimuler le refoulement.

Autrement dit, en-deça de l’opposition amour et haine, il y a une autre distinction c’est l’amour tendre et l’amour sensuel. La distinction fait la séparation entre les hommes et les femmes.

L’image du père, la représentation du père, peut être coupée en deux par un côté amour tendre, légitime, et un côté amour sensuel qui est négatif parce que c’est interdit, c’est le complexe d’Œdipe : on ne couche pas avec son père.

Autre exemple :

Pierrette :  on parle d’elle dans la télé lorsqu’elle s’installe devant le poste.
J’ai essayé de nombreuses fois de faire dire à cette dame ce que cela disait dans la télé. Réponse : on a dû me filmer à mon insu parce qu’il y a des caméras dans les magasins, les parkings, on a dû enregistrer mes conversations téléphoniques…


Pierrette parle de la télé, d’internet, des téléphones portables, de tout ce qui fait la communication mais sans le contenu de la communication.
On est passé de la représentation à la modalité de la représentation, soit, à son fonctionnement figé. Mais cette modalité, chez elle, ne trouve comme représentation non pas la nomination des sentiments, le sentiment étant ce qui fait trou, (l’amour étant toujours réciproque, la haine aussi), mais ce qui fait trou de manière machinique entre les humains, c'est-à-dire tous les moyens de communication possibles qui mettent en relation les humains, c'est-à-dire qui sont trous entre les êtres parlant. Autrement dit, elle essaie de me parler de la parole sans y arriver et sans arriver à ce que la parole puisse énoncer quelque chose.

C’est l’inverse de Fatima qui produit une représentation figée de son désir, renversé et retourné: j’ai envie de coucher avec mon père mais, comme c’est inavouable, c’est les autres qui le disent (Wendung, retournement ) et c’est mon père qui a envie de coucher avec moi (Verkehrung, renversement). Ça donne ce discours:« les gens disent que j’ai couché avec mon père ».

Si dans le cas de Fatima, nous avons de la surface qu’il n’est pas possible de trouer, nous avons dans le cas de Pierrette un trou qu’il n’est pas possible de surfacer. Mais un trou qui du coup est devenu surface. La fonction parole ne peut plus fonctionner ; elle est figée comme un objet, les objets qui servent à communiquer dans notre monde, (téléphones, internet, etc…) qui ne cesse de répéter « ça parle ».. mais qu'est-ce que ça dit en parlant ? ça ne peut plus rien dire.

La topologie c’est s’orienter, comment s’orienter sur les surfaces. S’orienter c’est aussi savoir quoi faire, savoir comment répondre. Ce n’est pas un savoir de l’ordre de ce qu’on pourrait apprendre par cœur, c’est un savoir faire, travailler avec ce qui est donné. Travailler avec la topologie, c’est travailler avec ce qui, ne pouvant se dire, se montre. L’un –le dire - travaillant dans l’articulation avec l’autre – le montrer - me permet de dégager petit à petit une orientation.

Se donner des contraintes mathématiques, en les articulant avec les contraintes de la pratique, et celles de la théorie analytique, permet de féconder quelque chose, de féconder une relation.

Le rapport au maître :

Mes altercations avec Christophe Delorme qui buvait un peu, pourraient se résumer par la question : qui est le maître ici ?
Il me confère un statut de maître puisqu’il me demande une orientation dans sa vie, puisqu’il ne sait plus où aller, plus quoi faire pour sa vie. En même temps il me conteste de m’avoir donné ce pouvoir en me disant : je reste le maître de ma vie.

Le rêve se présente comme une surface, et l’interprétation est comme une coupure dans cette surface. Faire du trou afin de s’en saisir.
Le trou qui a mis en valeur cette surface, qui a donné une cote de valeur à cette surface, c’est le sentiment auquel on va donner une surface, puisqu’on le nomme. C’est le trou en tant qu’éprouvé auquel on va donner une surface pour nommer cet éprouvé qui du coup n’est plus un trou mais une surface.

La honte et la colère sont souvent corollaires de la fonction du père.

Il ne faut pas trop se laisser prendre par l’imaginaire du père qui devrait être comme ceci ou comme cela, ou celui de la mère qui devrait être comme ceci ou comme cela. Ils sont comme ils veulent et surtout comme ils peuvent.

On essaie de redonner de la souplesse à la vie, à la parole, aux relations avec les autres.

La pulsion de mort ça coupe, ça troue, ça détruit, et c’est en même temps la pulsion de vie parce que ça produit des représentations. Plus ces représentations sont variées, nuancées, et plus ça amène à produire d’autres représentations, donc, plus ça fait de la vie.
Le fait de faire de la coupure engendre de la surface. Tant qu’il n’y a pas de trou on ne peut pas dire qu’il y a de la surface. Mais quand il y a de la coupure, on peut dire, il y a un trou et à côté il y a de la surface. Autrement dit, il y a du sentiment et il y a de la représentation.

Si on force un enfant à apprendre quelque chose, ça ne marche pas. Par contre s’il aime ce qu’il fait, s’il y met de la libido, que ce soit parce que c’est intéressant ou parce que le prof est intéressant ou parce que maman s’en occupe et c’est intéressant de faire plaisir à maman, dans tous les cas c’est parce qu’il y a de la libido, il y a du trou qui met en valeur les représentations, les contenus qu’il va retenir et en faire quelque chose.

Un rêve :

Je rêve de ma compagne qui est habillée de cuir. Elle est devant le miroir et se maquille. Elle se passe une énorme couche de fond de teint vert.
Nous sortons et avant de sortir nous passons dans un grand hall à l’intérieur duquel il y a sur quelques marches surélevées comme une petite maison, une maison dans la maison. Nous sortons et arrivés dehors je m’aperçois que la maison est à flanc de coteau, c’est la maison de ma compagne. Elle a rajouté plein de petites maisons sur les toits de sa maison.

Au réveil je me demande de quoi il s’agit.
Je repense au visage vert de ma compagne : quand j’avais 20 ans et que je me prenais pour un peintre, j’avais fait un portrait de la mort en jeune fille, et c’était une jeune fille au visage vert, qui avait des cheveux noirs et longs, exactement comme ma compagne dans mon rêve. La mort.

Ça m’a tout de suite ramené à une de mes analysantes, qui m’avait raconté la chose suivante :
Quand elle était petite en Kabylie, vers 4-5 ans, elle avait un oncle qui était de son âge. Cet oncle était mort en très bas âge. Elle avait déclaré à sa mère : « je ne suis pas d’accord, la mort je n’en veux pas. Je veux le réveiller ». Sa mère lui avait répondu : « oui, tu n’as qu’à le réveiller. Tu prends une cuillère d’huile d’olive, tu lui mets dans la bouche et il va se réveiller ». La petite part au cimetière avec sa bouteille d’huile d’olive et sa cuillère. Elle gratte la terre au cimetière où était enterré l’oncle. Elle arrive jusqu’au seuil, càd le drap dont on entoure le mort. A ce moment-là sa grand mère   intervient ; elle l’avait vue faire de loin. Elle l’a arrêtée à temps.

Elle était venue me trouver parce qu’elle ne supportait pas la mort. Elle avait eu récemment le deuil de son beau père. Elle était étonnée de voir comment elle avait été bouleversée par cette mort. Elle n’avait pas pu en dire un mot à son fils, c’était trop fort pour elle. C’est à la suite de cela qu’elle avait retrouvé le souvenir de son oncle qu’elle avait déterré.

Au fil des séances lui viennent de nouvelles associations : « un jour ma mère a jeté les petits chats que la chatte venait d’avoir de l’autre côté du mur du cimetière. Je suis allée de l’autre côté du mur du cimetière et je me suis occupée d’eux, je leur ai apporté à boire et à manger jusqu’à ce que ma mère s’en aperçoive et fasse disparaître les petits chats d’une autre manière ».

Autre souvenir : elle voit sa mère enterrer un petit chat dans un coin du champ et elle voit la chatte qui cherche partout son petit mort. Elle dit à la chatte : viens, je sais où il est. Elle va au coin du champ, elle déterre le petit chat, le rend à la chatte qui prend le petit dans sa gueule et le ramène à la maison ; sa mère retourne l’enterrer dans un autre endroit inconnu de la fillette.

Elle conclut, après tous ces souvenirs : « j’ai vraiment un problème avec la mort. Pourquoi suis-je incapable de la supporter ? Pourquoi est-ce que je cherche à arracher des être vivants à la mort ? »

Je lui demande : « Avez-vous vous-même été arrachée à la mort ? »
 On en reste là.

La fois suivante, elle arrive en disant : « j’étais dans le bus et je repensais à votre question que je n’avais pas compris sur le moment. En y repensant, tout d’un coup j’ai senti comme si on m’étranglait et un coup sur la tête comme si on me frappait. M’est revenue une image que j’avais complètement oubliée. L’image de Malika, (le nom qu’elle avait donné à la mort, Malika-la-mort). J’avais complètement oublié cette image, dit-elle, c’est cette question qui l’a fait revenir. »
Cette image est celle d’une jeune fille avec de longs cheveux noirs. Elle me dit, d’habitude on représente la mort par un squelette, une vielle femme, un démon, mais pas par une jeune fille. C’est une jeune fille de 20 ans et quand je suis née, ma mère avait 20 ans et quand j’étais petite, tout bébé, ma mère a essayé de m’étrangler et m’a flanqué des coups sur la tête ».

C’était pour moi comme une surface sans trou, et le rêve, en le rattachant là où ça m’avait touché personnellement, a tenté de faire un trou , ce qui lui a permis par la suite de faire un trou dans le trou de son souvenir et de faire remonter cette image de Malika la mort, qui était déjà remontée dans ma mémoire à moi par le biais du rêve, par le fait que ce portrait que j’avais fait de la mort en jeune fille verte, il y avait longtemps que je l’avais oublié.

Voilà un autre exemple de : comment ça fonctionne le transfert.

A partir de là, un certain nombre de souvenirs lui sont revenus du genre : « en Kabylie on était très pauvres et ma mère a essayé de me faire disparaître parce qu’elle ne pouvait pas me nourrir » ; puis : « c’est parce que j’étais une fille ! ». Effectivement, il lui est revenu un souvenir supplémentaire, qui était déjà présent dans mon rêve sans que je le comprenne. Elle avait un autre oncle avec lequel elle jouait tout le temps, qu’elle aimait beaucoup quand elle avait 4-5 ans. Un jour, le jour de la circoncision de l’oncle, elle a hurlé toute la journée, et quand ses hurlements prenaient forme, qu’elle pouvait dire quelques mots, elle disait : je veux pas être circoncis.

Elle fait ce travail de la coupure. Nous le faisons tous les deux, il consiste à mettre à jour des surfaces qui avaient été englouties dans la désorientation.

L’orientation concerne la vie ou la mort, garçon ou fille, l’un est complètement corollaire de l’autre. C’était comme ça dans mon rêve au sens où cette petite maison dans la maison m’a rappelé ce que j’avais vu l’été dernier en Thaïlande, que dans toutes les maisons, il y a une petite maison, la maison des esprits, qui est la maison des ancêtres, la maison des morts. Il faut aller régulièrement brûler de l’encens, mettre de la nourriture pour que les morts se sentent bien dans leur maison de façon à ne pas venir ennuyer les vivants dans leur maison à eux.

C’est ce que je retrouve. Mais du fait qu’il s’agit de la maison de ma compagne et qu’elle a ajouté des maisons par-dessus sa maison, indique aussi qu’elle a rajouté dans mon idée à moi un phallus là où il n’y en avait pas, c'est-à-dire  au corps de la maison, son corps, est ajouté un autre corps qui est une petite maison sur la maison, qui est le corps comme phallus, le corps objet rajouté comme l’enfant pourrait être un objet rajouté au corps de la mère.

J’avais été touché par cette dame là où moi-même je pouvais être touché et mon rêve faisait trou dans ce qui faisait la surface jusqu’à présent du transfert entre elle et moi.

La religion ambiante est la science moderne, et la psychanalyse s’inscrit en faux contre la science moderne en tant que le sujet de la psychanalyse est le sujet de la science, qui est celui qui a été mis à l’écart par le scientifique qui ne s’occupe que des objets.

Il faut être objectif, et l’objectivité dans notre société est devenu une religion. Il faut que ce soit objectif pour avoir de la valeur. La cote de valeur des représentations doit être l’objectivité ; on la demande aux journalistes, aux jurés d’un tribunal, on demande à tout le monde d’être objectif car si jamais on était subjectif ça serait terrible, on risquerait de livrer un sentiment personnel.

Ce sujet mis à l’écart par la science et par l’idéologie scientiste de notre époque, c’est le sujet dont s’occupe la psychanalyse. Celui qui a des sentiments, celui qui se trompe, celui qui croit voir un phallus où il n’y en a pas.

Quand je suis en relation analytique avec Fatima ou Pierrette, je suis dans la psychose, je suis dans une relation transférentielle que je qualifie de psychotique, comme je suis avec d’autres dans une relation transférentielle que je qualifie de névrotique. Ce n’est pas l’autre le névrotique, ce n’est pas l’autre le névrosé, ce n’est pas l’autre le fou, ce n’est pas l’autre le malade, c’est notre relation. Et le travail de l’analyste est d’amener cette relation jusqu’au bout, et si c’est la folie, c’est aller jusqu’au bout de cette folie, ensemble. Ce n’est pas empêcher l’autre de délirer, au contraire.

Lacan avait indiqué que la psychanalyse était une paranoïa dirigée. Freud avait inventé le terme de dire que la névrose c’était une névrose de transfert. Lacan est donc bien dans la ligne de Freud, simplement il fait un pas de plus, ce n’est plus simplement la névrose de transfert, ça peut être la paranoïa dirigée. A la fin de sa vie il se posait la question : la psychanalyse ne serait-elle pas un autisme à deux ?

Le récit d’un rêve est le moment psychotique d’un transfert. C’est ce moment où on est face à un écran. Le rêve se déroule et on n’y comprend rien. C’est une folie pure, il peut se passer n’importe quoi dans ce rêve, tout et le contraire. Et je n’y comprends rien. Un rêve est une folie, et le récit d’un rêve commence à être peut-être la sortie de la folie au sens où il commence à y avoir des découpes, des interprétations, l’interprétation c’est la coupure, c’est peut-être un moment d’avancer dans cette folie mais aussi une possibilité de s’en sortir par le fait d’aller jusqu’au bout.

Dans les écrits de Lacan je vous avais indiqué en quoi il y avait une temporalité dans toutes ces histoires ; Il y avait un temps pour la phobie, un temps pour l’hystérie, un temps pour la psychose, de cette psychose qu’est le rêve. Un des écrits de Lacan s’intitule « le temps logique ou l’assertion de la certitude anticipée ».

Ce temps on le retrouve dans le fait que l’homme est le seul animal, en tant qu’il parle, qui anticipe sa mort et de ce fait peut se poser des questions sur son origine et donc sur le sens de la vie.

Quel est mon désir en fonction du sens de ma vie ? Quel chemin vais-je prendre en fonction de ce trou, de cette origine sur laquelle je ne peux rien dire et du trou de mort sur lequel je ne peux rien dire non plus ?

Ce récit du temps logique nous permet d’avancer dans cette question. C’est un sophisme fécond. Il présente la situation suivante :

Trois prisonniers dans une prison sont amenés devant le directeur de la prison et le directeur leur tient ce discours : je peux libérer un seul d’entre vous, à condition que celui-là résolve l’énigme suivante :
Voici 5 ronds, trois blancs et deux noirs. Sans que vous le sachiez, on va mettre sur le dos de chacun d’entre vous un rond sans que vous puissiez voir lequel et vous serez laissés seuls dans une pièce. Vous pourrez voir le dos de vos partenaires mais pas votre propre dos. Vous n’aurez pas le droit de parler ni de communiquer par signes d’aucune sorte. Vous devrez simplement trouver la couleur du rond qui est dans votre dos par la seule déduction logique. Je libérerais celui qui saura me dire la couleur du rond qu’il a dans le dos seulement s’il peut me justifier cette couleur par des raisons logiques.

C’est en ce sens là que la logique fait partie de la psychanalyse.
Dans cette question de s’en sortir. Les prisonniers doivent s’en sortir en faisant leur trou, c'est-à-dire  en se connaissant eux-mêmes, en pouvant dire : je suis blanc ou noir.

Ils sont dans une situation psychotique. On va coller au dos de chacun d’eux un rond blanc, ce qui fait que chacun d’eux voit deux ronds blancs. Si chacun d’eux voyait deux ronds noirs, la réponse serait facile : si je vois deux ronds noirs, c’est que je suis blanc, ou si je vois un noir et un blanc, il y en a un qui voit deux ronds noirs et celui-là a la réponse plus facilement que les autres.

Je pourrais supposer en tant que prisonnier être le noir, puisque je vois deux blancs.
Puisque je suis dans une situation psychotique, je fais l’hypothèse que je suis noir parce que je vois deux blancs. Mais comme il ne se passe rien, si j’avais été noir, les deux autres auraient eu un indice de plus, voyant un noir et un blanc, ils se seraient dit c’est forcément que je suis blanc puisque j’ai éliminé l’hypothèse du noir. Les autres seraient sortis. Or ils ne sortent pas. S’ils ne sortent pas, c’est que je ne suis pas noir.
Il ne se passe rien, il n’y a aucune communication et pourtant ça écrit l’hypothèse : je ne suis pas noir.

De ce fait, j’ai acquis un savoir : je ne suis pas noir, je suis blanc. Ayant acquis ce savoir je me dirige vers la porte pour expliquer au directeur de la prison comment je viens de faire cette déduction logique.

Mais les autres ont fait la même déduction et ils se mettent en route en même temps. Cette vérité vient démentir ce savoir que je venais d’établir. S’ils se mettent en route, c’est justement peut-être que j’étais noir et eux ils ont peut-être mis plus de temps à comprendre, mais donc peut-être je suis noir.

Le mouvement de la vie qui reprend, l’écriture qui reprend est une vérité qui vient renverser ce savoir, vient démentir le discours du maître, le savoir, la vérité. La vérité vient démentir le savoir que venait d’établir la coupure du maître.

Il y a des gens qui toute leur vie font boulanger parce que c'est la qualité que papa leur a collé sur le dos, je vais être boulanger parce qu'il a voulu que je sois boulanger et je ne m'en sors pas de m'attribuer la qualité que l'autre m'attribue. Le temps logique, la cure analytique, permet de s'en sortir, en tenant compte de ce que les autres m'attribuent, mais en choisissant en définitive moi-même ce que je m'attribue. Car je m'aperçois qu'à me conformer à - ou à me révolter contre - ce que les autres m'attribuent, je perds un temps précieux, celui que je mets à profit pour à présent m'avancer et dire : je n'ai pas d'autre choix que de choisir plutôt que d'être choisi. Choisir quoi ? ce que j'ai à dire. Car je ne serais jamais rien d'autre que ce que j'aurais dit… à condition de ne pas rester dans le silence et de s'être avancé pour le dire.
La prison dont il est question n'est pas autre chose que la structure du langage : on n'en sort pas… on parle. C'est ce que montre magistralement le film " Cube " dont j'ai fait un commentaire en ouverture du tome 1 de " de l'autisme ".

Cf. " De l'autisme, topologie du transfert dans l'exercice de la psychanalyse " tome 1 encore disponible chez l'auteur :richard.abibon@wanadoo.fr

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire