NOTION DE « PECHE » ET PSYCHANALYSE.
Par Jean-Marie Demarque,
Théologien & Psychanalyste.
NOTION DE « PECHE » ET PSYCHANALYSE.
Par Jean-Marie Demarque,
Théologien & Psychanalyste.
Depuis quelques semaines, en raison sans doute d’un vécu et d’une introjection, en raison aussi à des questions évoquées par plusieurs sur la page de travail de l’Association UTOPSY-LA NEF DES FOUS, je me sens travaillé par ces questions de honte, de culpabilité inhérentes à celle du « péché » , présentes sinon chez tous les hommes sains, du moins chez ceux qui sans être nécessairement pratiquants ni même croyants s’interrogent sur la portée d’actes qu’ils jugent contraires à la « morale »….
Viennent naturellement refaire ici surface les concepts et les idées du théologien que je suis et reste, auxquelles s’ajoute la vision du psychanalyste et le recul du clinicien qui, je l’espère, rendront cet article accessible et digne d’intérêt.
Commençons par le début et évoquons cette notion tellement frelatée du « péché » :
Je commencerai par casser les reins au poids moral que sous-tend le mot dans la pensée judéo-chrétienne et surtout, Occidentale.
En hébreu, le verbe « pécher » se dit ha'J'x; (‘Hattah) ou taJ'x; (‘Hattat). Sa première occurrence se trouve dans Bereshit (Genèse) 4 :7
Genèse 4:7 Certainement, si tu agis bien, tu relèveras ton visage, et si tu agis mal, le péché se couche à la porte, et ses désirs se portent vers toi: mais toi, domine sur lui. (Lsg)
Berechit 4:7
taJ'äx; xt;P,Þl; byjiêyte al{å ‘~aiw> taeêf. ‘byjiyTe-~ai aAlÜh] 7
`AB*-lv'm.Ti hT'Þa;w> Atêq'WvåT. ‘^yl,’aew> #be_ro
Le verbe est un terme d’archerie, qui signifie très simplement…. « Manquer sa cible ». Et il ne porte pas vraiment de connotation morale ! Dans l’histoire de Caïn et d’Abel, dont il est question dans ce verset, Caïn est pris à partie par D.ieu car, en tuant son frère, il a bouleversé le plan du Créateur, il a manqué sa cible, le but de sa vie et de celle de son frère, auquel il l’a ôtée. C’et un « ratage », et un « ratage » énorme !
Par contre, ce mot n’apparaît pas pour désigner ce pourquoi Adam et Eve, l’Humain et « La Vectrice de Vie » sont chassés du Jardin d’Eden : Il n'y a, en effet, aucune notion de « péché originel » dans le texte de la Genèse racontant l'histoire d'Adam et Ève dans l'Eden. La formalisation du concept tient à une lecture de l'épître aux Romains, V 5, 12 de Paul de Tarse explicitée par saint Augustin d'Hippone au IVe siècle dans sa lutte contre Pélage , qui considérait la création comme bonne !
Augustin soutenait l’opinion pessimiste de Paul qui lui permettait de répondre à une question fondamentale pour qui avait été manichéen : Pourquoi le mal ? Pourquoi la mort ? La réponse de Paul (déterminante dans la conversion d’Augustin) est simple :
Romains 5 :12 :« C’est pourquoi, comme par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et qu’ainsi la mort s’est étendue sur tous les hommes, parce que tous ont péché… »
Dans le texte de Romains, évoqué ci-dessus, parlant de la faute d’Adam comme de la faute d’un seul, Paul ne dogmatise pas un péché originel comme Augustin croit devoir le faire plus tard, à partir d’une lecture atomiste de Paul sans lecture parallèle au texte de Bereshit (la Genèse).
Si l’on tient pour vraie la déclaration de Paul à propos de sa formation intellectuelle : élevé aux pieds de Gamaliel, Paul est un pharisien. Il pratique donc les règles d’herméneutique (middot) telles qu’enseignées dans le milieu des perushim (les pharisiens). La lecture typologique est l’une de ces règles. Le principe en est « ma' assei avot siman lebanim » ([fr] : la geste des pères est un miroir pour les fils). En d'autres termes,"l'expérience des anciens est un enseignement dans lequel on se découvre" transformé en "tout a été vécu par les patriarches (dont Adam) qui devra advenir à leur descendance".
Paul applique ce procédé à profusion. (voir 1 Cor 10 qui est un midrash pésher sur Nombres (Bamidbar) 20,8). Ce procédé herméneutique trouve une survivance dans l’adage : « L’histoire ne se répète pas ; elle bégaie ».
Augustin, qualifia ce péché d’« originel ». Pour expliquer qu’il se transmet (selon la traduction erronée de la vieille latine) à tous les hommes, par engendrement, comme une souillure héréditaire, il l’assimila « au péché de chair », suivant en cela le discrédit de la sexualité mis en œuvre par le stoïcisme. Cette « interprétation » est en contradiction avec la lettre du texte de la Genèse, qui parle bien du « fruit défendu » comme celui « de la connaissance du bien et du mal », expression qui ne peut signifier que « la conscience », par laquelle l’homme se sépare du reste du règne animal. Cette assimilation du « péché originel » à un quelconque « péché de chair » sera d’ailleurs combattue par nombre de théologiens comme une « erreur populaire », au même titre que l’assimilation du fruit à une pomme (nulle certitude sur cette assimilation, mais la pomme symbolise l’amour, et par ailleurs le nom latin du pommier est malus, la pomme-fruit est "abella" (cf: anglais:Appel et allemand: Apfel) que le fruit cité dans le texte latin de la Genèse est pomum qui ne signifie que "fruit" en général… on a rapproché "malus" le pommier du "malum" le Mal! du coup "pomum"(Genèse) est devenu le fruit du pommier (malus) en français).
La conception d’Augustin est à rapprocher de l’ananke des Grecs, qui signifiait "nécessité, destin" repris et tordu en souillure tragique, qui se transmet à toute une famille comme le montre la tragédie. Elle l’étendait à toute l’humanité, conformément à la conception d’une culpabilité universelle propre à certains courants du christianisme.
Le baptême permettrait d’effacer cette souillure. (texte en italique : Source : Wikipedia.)
Ce concept de Péché originel est typiquement occidental. Les christianismes orientaux, quel que soit le nombre de conciles qu'ils reconnaissent, ne croient pas à cette doctrine, également étrangère au judaïsme et à l'islam.
Le Péché originel, l’une des œuvres de Michel-Ange sur la voûte de la Chapelle Sixtine.
Pierre Lombard fit évoluer cette notion vers celle d’un affaiblissement de la volonté.
Cette interprétation marqua l’ensemble du Moyen Âge qui sera dominé par l’inquiétude face au péché (confessions, indulgences, etc.), la justification par les actes. Bien plus cette notion de péché originel donna une autorité morale à la misogynie en faisant retomber l’origine de l’état de pécheur sur la femme.
Les cathares contesteront le sacrement du mariage pour le principe que celui-ci légitime à leurs yeux l’union charnelle de l’homme et de la femme, union à l’origine du péché du premier couple selon leur interprétation de la Genèse.
La grande question du Moyen Âge est celle du salut dans une perspective où la Vie Éternelle se situe après la mort, dans une optique de rétribution. Quels sont donc les moyens du salut (de gagner son paradis) si Dieu est tout puissant ?
Luther entre en conflit avec Érasme sur cette question dont la prédestination et le libre arbitre sont deux tentatives de réponse. En bon augustinien, Érasme soutient le libre arbitre, c’est-à-dire la responsabilité de l’homme devant Dieu concernant ses actes. En quelque sorte, l’homme peut refuser la grâce de la foi. Au contraire, se fondant notamment sur le péché originel, le moine augustinien Luther défend la prédestination, c’est-à-dire le "serf" arbitre et la justification par la foi, chère à Paul. Pour Luther, c’est Dieu qui décide. Par cette querelle Luther s’aliènera Érasme avec toute son autorité et son crédit.
Voir aussi :
- Didier ÉRASME, Essai sur le libre arbitre, 1524
- Martin LUTHER, De servo arbitrio (Du serf arbitre), 1525 (édités ensemble en français sous le titre: Luther, Du serf arbitre)
C’est au XVIIe siècle qu’apparut une polémique au sein même de l’Église catholique, opposant d’un côté les jansénistes, qui prétendaient rétablir la pureté des dogmes de la grâce efficace et de la prédestination, et de l’autre les jésuites, qui préféraient mettre en avant le libre arbitre. Pascal, qui soutenait Port-Royal, s’attaqua de façon virulente au laxisme moral des Jésuites et à leur casuistique accommodante dans ses Provinciales. Alors que les jésuites avaient tendance à atténuer l’importance du péché originel et à considérer que le principal attribut de Dieu était la miséricorde, les jansénistes insistaient sur la nature corrompue de l’homme, dominé par la concupiscence, et peignaient Dieu sous les traits du Juge implacable séparant les Élus des Damnés. (texte en italique : Source : Wikipédia)
Dès lors, que penser ? Il n’y a pas de péché originel, et, qui plus est, le péché n’est pas ce qu’en disent ni les Eglises occidentales, ni la morale, cette « morale judéo-chrétienne » qui fit et continue de faire tant de ravages dans le psychisme des hommes et des femmes, depuis deux mille ans !
Comment, dès lors, pouvons-nous, psychanalystes ou psychothérapeutes, aborder ce sujet en séances et offrir à chacune et chacun les moyens de trouver des réponses à ses questions, qui soient à la fois satisfaisantes, rassurantes, apaisantes ?
Durant quatorze années, avant d’exercer en libéral et de me sentir confirmé dans mon autorisation à exercer la psychanalyse, j’ai exercé presque quotidiennement la psychothérapie auprès de gens qui soit venaient me trouver, soit chez lesquels je me rendais, qui avaient tous un point commun : ils étaient rongés, jusque parfois à l’obsession, par la culpabilité, la honte d’actions « commises » selon eux en contradiction avec les principes de la Foi !
Besoin de dire, de se dire, dans un mouvement s’apparentant très souvent à l’auto-punition et à des symptômes évident de névrose obsessionnelle !
Phénomène que Freud avait lui-même pu percevoir très tôt dans de multiples cas cliniques qu’il évoque largement dans « Bemerkungen über einen Fall von Zwangsneurose », dès 1909.
Difficile de « renverser la vapeur » dans certains cas ou ces patients se transformaient inconsciemment en leurs propres bourreaux, manifestant parfois une violence compulsive d’auto-punition les conduisant au passage à l’acte fatal ! je pense ici très précisément à un suicide, mais avec tout autant de conviction à des « séries » inexplicables rationnellement de somatisations longues et létales ! Ces derniers cas me renvoyant à ce que Freud nomme dans la cure, une réaction thérapeutique négative, au cours de laquelle, dit-il : « l’analyste a l’impression d’une force qui se défend par tous les moyens contre la guérison, et veut absolument s’accrocher à la maladie et à la souffrance » ! (FREUD Sigmund, « Die endliche und die unendliche Analyse », 1937)
Il est clair que cette notion pathologique de péché, qui devient obsédante, renvoie directement à la pulsion de mort ! Même si Freud, dans sa réflexion sur le sado-masochisme, émet quelques réserves à ce sujet, préférant notamment parler de besoin de punition (donc conscient !) plutôt que de sentiment de culpabilité inconscient ! (FREUD Sigmund, « Das ökonomishe Problem des Masochismus », 1924)
Et dans le même ouvrage, il fait clairement la distinction entre deux cas de personnes qui donnent l’impression à l’analyste, « ….d’être sous la domination d’une conscience morale particulièrement à vif, bien qu’une telle sur-morale ne soit pas chez eux consciente…. » chez lesquelles il faut pouvoir faire un distinguo entre ce qui est du prolongement inconscient de la morale, et ce qui relève d’un masochisme moral. « Chez les premiers, l’accent porte sur le sadisme renforcé du surmoi, auquel le moi se soumet ; chez les seconds, au contraire, il porte sur le masochisme du moi qui réclame la punition, qu’elle vienne du surmoi ou des puissances parentales externes. »
Il y a donc clairement une différence à percevoir chez le patient, entre sadisme du surmoi (Ics)et masochisme du moi (Cs) !
Et ici, Freud va très loin, puisqu’il affirme sans ambages que « si une partie de la pulsion de mort est bien liée psychiquement par le surmoi, d’autres parties peuvent être à l’œuvre, on ne sait où, sous forme libre ou liée » ! (FREUD Sigmund, « Die endliche und die unendliche Analyse », 1937, op. Cit.)
Jean-Marie Demarque
……a suivre !
merci de cet éclairage.
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