RUE…. Premières impressions….
Par Jean-Marie Demarque, psychanalyste.
Mardi 16 août, dix heures… Nous commençons notre tournée par la Gare du Nord….
Descente aux enfers d’une Misère insoupçonnée de beaucoup, pourtant pain amer du quotidien de tant de gens, de tant…d’Humains !
Derrière sa vitrine, une jeune prostituée danse, comme une poupée mécanique au mécanisme grippé, presque par saccades… Plus loin, une autre me sourit, échange un petit signe avec mes collègues, qu’elle connaît si bien… Un sourire, un vrai, sur son visage fatigué : elle se sent, elle EST quelqu’un, pour cet instant fugitif….
Tiens… les Roms sont moins nombreux que la semaine dernière….. Je dénombre seulement 9 enfants parmi eux, des tout-petits, entre un et trois ans….. Echanges de regards, d’une poignée de mains….
Tiens… les Roms sont moins nombreux que la semaine dernière….. Je dénombre seulement 9 enfants parmi eux, des tout-petits, entre un et trois ans….. Echanges de regards, d’une poignée de mains….
Rencontre d’un visage connu, depuis la semaine dernière, dont le propriétaire arpente les couloirs de la Gare, à trois pattes, lentement… Il semble plus « frais » ce matin que la semaine dernière… petites gouailleries envers ce nouveau que je suis, et qu’il identifie comme psy… tentative de se masquer, pour ne surtout pas se laisser aller à des confidences que je sens, intuitivement, sur le point de se faire….
Plus loin, à quelques mètres de sa « nouvelle maison-parapluie », un autre, dont les yeux s’illuminent à la vue de notre arrivée… Poignée de main chaleureuse, large sourire… « Rappelle-moi ton prénom ? » -« Jean-Marie ! »…. Echanges joyeux, moments de chaleur, d’humanité, tout simplement…. On se quitte, jusqu’à demain… Il me lance un cordial « Au revoir, Monsieur Jean-Marie »…. Leçon d’humilité……
Plus loin, à quelques mètres de sa « nouvelle maison-parapluie », un autre, dont les yeux s’illuminent à la vue de notre arrivée… Poignée de main chaleureuse, large sourire… « Rappelle-moi ton prénom ? » -« Jean-Marie ! »…. Echanges joyeux, moments de chaleur, d’humanité, tout simplement…. On se quitte, jusqu’à demain… Il me lance un cordial « Au revoir, Monsieur Jean-Marie »…. Leçon d’humilité……
11h00….
Tiens, les polonais sont en route… Ils se lèvent à notre arrivée, camouflant plus mal de bien deux bouteilles d’un douteux « Martini », une vide, l’autre à moitié pleine…. Bonjour, poignées de mains, échanges, puis discussions plus animée… Un grand diable, complètement ivre m’embrasse chaleureusement… Il se dit un peu… Hospitalisation de deux semaines, diarrhées sanguinolentes… Détails…. Je sens surtout, derrière ses mots, une totale détresse, et un immense besoin de se raccrocher à une humanité qui en lui s’effrite, se délite…. Ah, les joies d’une équipe mixtes : mes deux collègues féminines maternent, à distance toutefois.
Les hommes s’animent, leurs yeux brillent… Besoin de contact, de tendresse, tout simplement ! Je les admire, ces collègues, pour leur maîtrise, leur parfaite connaissance du milieu et du terrain… Pour leur façon douce mais ferme, de manier leur contre transfert… Et pourtant je sais ce qu’elles ressentent, intérieurement, et leur détresse parfois face à des réactions violentes, subites, imprévisibles, de ces hommes qui n’ont que nous pour décharger le trop plein de leur colère, de leur révolte… Bien justifiée !
Ils boivent ? Oui ! Beaucoup ! Et alors ? Ca vous choque ?
Vous, nous, nous avons notre chez-soi, le confort d’un foyer, d’une famille pour la plupart… Nous avons nos repères, même s’ils peuvent parfois être instables. Nous avons plus ou moins l’assurance que demain sera pareil, voire meilleur qu’aujourd’hui… eux, demain ,ils ne savent plus ce que ça veut dire : il n’ont plus rien, plus de vie, plus de perspectives… Même pas, très souvent, la possibilité de croiser un regard… Nous préférons ne pas les voir, c’est plus facile, plus commode ! Que feriez-vous, que ferions-nous, que ferais-je à leur place ???
Rue de la Bourse, 11h30…
.
Elle est là, assise, recroquevillée, devant un petit montage floral et une assiette parsemée de quelques piécettes de deux et cinq cents, une bouteille de Trappiste moitié vide à la main…. Un chiot, roulé en boule à ses côtés… Propre sur elle, habillée avec une réelle recherche, cheveux noués…. A notre vue, son regard s’illumine… Mon D.ieu qu’elle est belle !!! Malgré cette ecchymose à l’œil, et cette plaie purulente à la lèvre inférieure…. Une « chute », bien sûr….. « Il est super ton chien ! Il s’appelle comment ? « …. « Je ne sais plus, faut demander à son papa ! »… Son « papa », c’est ce grand blond hirsute, avec un œil tatoué au milieu du front, et qui intervient en m’expliquant que le chiot s’appelle Pogo …. « Il est chouette, hein ! J’aimerais qu’il reste petit comme ça, pour en faire mon porte-clés »….. Puis, des yeux qui s’embuent…. « Mais….je n’ai pas de clés, moi…. ». Gorge qui se serre, mes yeux me piquent…..
Putain !!!!....
Et ce quinquagénaire Marocain, qui m’explique, fatigué, qu’il est à la rue depuis quatre jour,…. Déboussolé, perdu, hagard… Il voudrait seulement pouvoir…dormir…. Et il y a des gens qui pensent que l’Enfer n’existe pas !!!! Si ! Il existe : c’est…la Rue, tout simplement ! Et c’est ici, et maintenant !
11h50….
On rentre à la permanence….
Rencontre d’un groupe de jeunes polonais, dont un tout jeune couple, à peine réveillés mais déjà bien « entamés »….ils s’excitent les uns les autres en se lançant violemment, au travers du trafic déjà dense, une balle de tennis… un jeu qui va mal finir, très certainement…..
Remontée pénible, vers la Rue Royale… Ca grimpe, et mon cœur se rebiffe… Petit coup d’œil vers l’Eglise Ste Marie, le Jardin Botanique… Doux souvenirs, encore si vifs, et contrastant tellement avec cette matinée…. Le local, un café chaud….ouf …… Je vais pouvoir aller à ma séance de psychanalyse perso… J’aurai des choses à dire…..
Jean-Marie Demarque,
Psychanalyste,
Volontaire à « La Maraude »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire